Depuis l’arrestation de Pavel Durov en France, d’aucuns s’étonnent que l’on ne fasse pas de même pour Mark Zuckerberg, par exemple. En effet, les motifs pour lesquels le fondateur de Telegram a été arrêté pourraient être en partie appliqués au patron de Facebook et Instagram. C’est oublier la particularité de Telegram, qui n’a jamais fait montre d’une grande coopération.

C’est une petite musique que l’on a entendue dès le lendemain de l’arrestation de Pavel Durov, et qui s’est propagée sur les réseaux sociaux. Il y aurait un deux poids, deux mesures à l’égard des géants de la tech. C’est ce que reflète ce tweet, publié le 25 août, qui observe avec agacement que Mark Zuckerberg, lui, n’a pas été arrêté.

Mark Zuckerberg n’a effectivement fait l’objet d’aucune interpellation depuis qu’il a commencé sa carrière dans le web social. L’entrepreneur américain, qui a fondé Facebook en 2004 avant de racheter Instagram en 2012 puis WhatsApp en 2014, a simplement été confronté au Congrès des États-Unis à diverses occasions.

Source : Capture d'écran
Source : Capture d’écran

La dernière de ces auditions a d’ailleurs eu lieu en janvier 2024 et portait sur la sécurité des enfants sur les plateformes. Le patron était entendu par une commission du Sénat, comme d’autres chefs d’entreprise, pour éclairer les pratiques et les politiques de ces réseaux sociaux. C’est à cette occasion qu’il a présenté ses excuses aux victimes d’abus.

Des enquêtes et des travaux ont déjà mis en lumière l’existence de contenus pédopornographiques sur Facebook comme sur Instagram (ainsi qu’ailleurs, comme YouTube et X). D’où l’emportement de l’internaute : pourquoi arrêter Pavel Durov s’il y a de la pédocriminalité sur Telegram, mais pas Mark Zuckerberg, dont les services font face aux mêmes problèmes ?

La coopération avec les autorités judiciaires des géants de la tech

Une clé d’explication se trouve dans la façon dont les réseaux sociaux agissent et coopèrent avec les autorités judiciaires ou administratives des différents pays, dont la France. Des plateformes comme Google (YouTube) et Meta (Facebook, Instagram) sont, en effet, amenées à répondre de temps à autre à des demandes liées à des enquêtes.

Pour rendre compte de la réalité de ces échanges, ces entreprises ont mis en place des pages dans lesquelles on peut lire des rapports de transparence qui fournissent diverses statistiques, ainsi que des explications sur la manière dont les interactions se font. Meta fournit ces informations, comme Google, pour chaque semestre. Numerama a participé plusieurs fois à des conférences de presse jointes entre une entreprise et les forces de l’ordre, en France, présentant ces interactions.

Pour prendre le cas de Meta, qui concerne Facebook et Instagram :

La période juillet-décembre 2023 a fait l’objet de 15 417 demandes, dont 7 422 liées à des procédures judiciaires et 7 995 pour des divulgations d’urgence (cela inclut tout risque imminent de blessure physique grave ou de décès). Ces demandes ont couvert un total de 17 522 comptes/usagers, dans 82,2 % des cas, des données ont été produites.

D’autres plateformes fournissent des rapports de transparence : c’est le cas de Snapchat, TikTok et même X, la plateforme d’Elon Musk (une autre page contient toutefois des informations plus récentes). Outre les demandes d’information, les sites signalent aussi les demandes de retrait de contenus, en lien avec la modération, le droit d’auteur ou la législation.

mark zuckerberg
Certains estiment que si on doit arrêter Pavel Durov en raison de ce qui se passe sur Telegram, il faut faire de même avec Mark Zuckerberg pour Instagram et Facebook. // Source : Facebook

Ces échanges ne se font pas n’importe comment. Des procédures précises et exigeantes sont en place, qui parfois empêchent la communication de données si le cadre n’est pas scrupuleusement respecté. On le voit dans la statistique de Meta pour la France : ce n’est pas automatique. Dans un cas sur cinq, cela n’aboutit pas, pour diverses raisons.

Un autre point est à considérer : si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux, les moyens mis en œuvre ne sont pas inexistants pour autant. Sans dire que tout est parfait et qu’il n’y a aucun problème, force est de constater qu’un réseau comme Facebook modère en combinant à la fois les signalements reçus et une lutte proactive.

Il était par exemple rapporté qu’en 2018, Facebook avait supprimé en un trimestre 8,7 millions de contenus en rapport à la pédopornographie. Plus récemment, en 2023, un programme réunissant Google, Meta, Snap, Twitch, Discord, Roblox, Mega et Quora a été mis en place, là encore pour être plus performant contre la pédocriminalité.

« Aucun rapport de transparence n’est disponible pour votre région »

Dans ce contexte, Telegram présente un profil singulier. Dans les colonnes de sa politique de confidentialité, il est dit que « si Telegram reçoit une décision de justice confirmant que vous êtes suspecté de terrorisme, nous pouvons divulguer votre adresse IP et votre numéro de téléphone aux autorités compétentes. »

Mais, ajoute la société, « jusqu’à présent, cela ne s’est jamais produit. Le cas échéant, nous l’inclurons dans un rapport de transparence semestriel publié à l’adresse suivante : https://t.me/transparency ». Ce lien renvoie vers un bot sur Telegram censé produire à la demande des rapports de transparence — il est nécessaire d’avoir l’application.

Sollicité justement pour obtenir la version concernant la France, le bot n’a pas été en mesure de satisfaire la requête.

« Aucun rapport de transparence n’est disponible pour votre région. Si des adresses IP ou des numéros de téléphone sont partagés conformément au point 8.3 de la politique de confidentialité, nous publierons un rapport de transparence dans les six mois qui suivent et continuerons à publier des rapports semestriels », est-il indiqué.

Source : Capture d'écran
La réponse du bot Telegram. // Source : Capture d’écran

Il est ajouté que « pour qu’une décision de justice soit pertinente, elle doit provenir d’un pays dont l’indice de démocratie est suffisamment élevé pour être considéré comme une démocratie. Seuls l’adresse IP et le numéro de téléphone peuvent être communiqués ». Selon le lien fourni par Telegram, la France a l’une des meilleures notes.

Dans ses règles, la plateforme rappelle qu’elle a des règles concernant la sûreté et la sécurité de ses membres, et qu’elle s’oppose aux abus. « Nos modérateurs peuvent vérifier les messages qui leur ont été signalés par leurs destinataires », indique le service. Certaines métadonnées (comme l’IP) peuvent être stockées jusqu’à douze mois.

Parmi les motifs que l’on peut brandir lors d’un signalement de message, on trouve : contenu indésirable, faux compte, violence, abus de mineur, pornographie, droit d’auteur ou la catégorie autre. Des outils de signalement sont aussi proposés, ainsi que des explications sur le fonctionnement de la modération et de ce qui n’est pas autorisé.

Des indications que l’on pourrait décrire comment purement déclaratoires. La modération est « quasi absente », rappelle Le Monde, et « collabore très peu avec les réquisitions judiciaires ». Ce qui se reflète avec l’inexistance d’un quelconque rapport de transparence pour la France, signe qu’il n’y a pas, ou quasi pas, d’échange avec la justice.

Cela pose inévitablement une question plus fondamentale : la défense de la liberté d’expression, brandie comme valeur cardinale par Telegram, doit-elle aboutir à un trou noir judiciaire, où les sollicitations d’enquêteurs ou de juges resteraient systématiquement lettres mortes ? En tout cas, cela vient de faire de Pavel Durov un complice potentiel de dérives en ligne.

Source : Numerama
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