C’est aujourd’hui le 164ème anniversaire de la naissance de Thomas Edison, ce qui donne à Google l’occasion de lui consacrer un très joli logo. Et ce qui nous donne, à nous, l’occasion de rappeler que l’inventeur fut en son temps le plus grand promoteur de la protection la plus dure de la propriété intellectuelle. Au point que la terreur qu’il faisait régner sur les copieurs a donné naissance à Hollywood.
Autant homme d’affaires qu’inventeur, Thomas Edison avait fondé en 1878 l’Edison Electric Light Company, devenue plus tard la fameuse General Electric, pour exploiter ses inventions. En particulier l’ampoule électrique. En trois mois, en 1880, il dépose 33 brevets pour s’assurer un monopole de bout en bout, depuis la génération du courant électrique jusqu’à la fabrication des ampoules, pour laquelle il a fondé sa propre fabrique à grand renforts de capitaux. Sept ans plus tard sa compagnie compte 5000 employés.
En 1888, Edison s’intéresse au cinéma. Sur le même modèle que les ampoules électriques, il tente de s’approprier un monopole de bout en bout, en inventant le kinétographe et en fondant les premiers studios et premières salles de cinéma. Mais c’est là qu’il va être victime de piratage, comme le racontait Lawrence Lessig dans son livre « Free Culture », traduit par Freescape en 2004 (sous licence Creative Commons by-nc 2.0) :
L’industrie cinématographique de Hollywood fut bâtie par des pirates en exil. Au début du 20ème siècle, des créateurs et des réalisateurs vinrent s’installer en Californie, fuyant la côte est où l’inventeur du cinématographe, Thomas Edison, jouissait d’une position dominante issue de la législation sur les brevets. Cette position dominante était occupée par un trust monopolistique, la Motion Picture Patent Company et était fondée sur les brevets de Thomas Edison. Edison avait créé la MMPC afin d’exploiter les droits de propriété que ces brevets lui procuraient, et celle-ci ne plaisantait pas quand il s’agissait de faire respecter ces droits.
(…) Les producteurs et les propriétaires de salles utilisaient des appareils illégaux et importaient la pellicule afin de créer leur propre circuit clandestin (…) Faisant usage de méthodes coercitives devenues légendaires, la General Film confisquait les équipements illégaux, appliquait une politique d’embargo vis-à-vis des salles qui projetaient des films non licenciés, et finit par acquérir le monopole effectif de la distribution des films grâce au rachat de la quasi-totalité des » bourses au film « , , à l’exception de celle de William Fox, qui défia le trust même après que sa licence de distributeur lui fut retirée. «
(…) Ceci amena les indépendants à fuir la côte est. La Californie était suffisamment hors de portée d’Edison pour qu’ils puissent pirater ses inventions sans craindre la loi. C’est exactement ce que firent les géants du cinéma hollywoodien, tout particulièrement la Fox. Bien entendu, la Californie se développa rapidement, et la loi Fédérale finit un jour par être effectivement appliquée sur la côte ouest. Mais comme les brevets n’octroient à leur détenteur qu’un monopole limité dans le temps (17 ans à l’époque), ceux-ci avaient expiré avant que la population d’agents fédéraux ne devienne suffisante pour contrôler l’industrie.
On sait, aujourd’hui, à quel point ce piratage a été bénéfique à l’économie américaine et plus globalement aux Etats-Unis, dont le cinéma est devenu une arme redoutable pour leur influence internationale. L’anecdote montre que la protection absolue de la propriété intellectuelle n’est pas toujours le meilleur vecteur de croissance.
En 2008, nous avions publié un article sur la crise financière, qui montrait que les brevets avaient leur part de responsabilité. Le nombre d’octrois de brevets a explosé dans les années 2000, notamment parce qu’ils sont accordés de plus en plus facilement, sans que l’exigence d’innovation soit aussi forte qu’avant. Les titres de propriété intellectuelle ne correspondent à de réelles inventions, mais servent à dissuader les concurrents de plus petite taille d’innover (plus il y a de brevets sur le marché, plus le risque de contrefaçon réelle ou supposée est élevé).
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