La commission des lois du Sénat a autorisé la publication d’un rapport d’évaluation de l’application de la loi de 2007 sur la lutte contre la contrefaçon. Ils proposent notamment de renforcer encore les sanctions en matière de violation de brevets, de marques ou de droits d’auteur, et souhaitent que les magistrats soient spécialisés pour ne pas être tentés de « relativiser » face aux autres crimes et délits, et qu’ils soient sensibilisés aux conséquences économiques de la contrefaçon.

Les sénateurs Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (PS) ont remis la semaine dernière au nom de la commission des lois un rapport d’information (.pdf) sur l’évaluation de la loi du 27 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. En apparence paritaire, le rapport a en fait été rédigé par deux soutiens à la protection accrue de la propriété intellectuelle, qu’il s’agisse des droits industriels ou des droits d’auteur (« Il ne s’agit pas d’un texte liberticide. Ce qui est liberticide c’est de nier le droit d’auteur« , avait même lâché le sénateur socialiste lors de l’examen de la loi Hadopi). Or leur vision transpire à toutes les lignes du rapport de 80 pages. Dès l’introduction, il est précisé que l’objectif des sénateurs est de « préserver, voire renforcer, la réputation d’excellence de notre pays en matière de lutte contre la contrefaçon« , ce qui passe selon eux par davantage de sanctions.

Dans sa première partie, le rapport s’attache à la question des procédures civiles en matière de contrefaçon, et notamment à l’organisation judiciaire. Il propose ainsi de renforcer encore la spécialisation des tribunaux et des magistrats, pour que seuls cinq tribunaux de grande instance en France puissent juger les affaires de contrefaçons de droit d’auteur, et que les magistrats soient spécialisés. Si la technicité du droit est d’abord mise en avant, il faut attendre la page 53 pour en comprendre les raisons fondamentales :

Les magistrats entendus par vos rapporteurs ont expliqué que la timidité des sanctions pénales tenait au fait que la contrefaçon, bien que reconnue comme un délit par le code pénal, était parfois perçue comme une atteinte à des intérêts privés, et non comme une atteinte à l’intérêt général (…)

La timidité des sanctions pénales semble tenir au fait que la contrefaçon, bien que reconnue comme un délit par le code pénal, est parfois perçue comme une atteinte à des intérêts privés, et non comme une atteinte à l’intérêt général. Cette perception est accentuée par l’absence de spécialisation des juridictions répressives : ces dernières ont, semble-t-il, tendance à relativiser l’importance d’une contrefaçon au regard d’autres délits dont ils ont à connaître tels que les agressions sexuelles, les homicides involontaires, les coups et blessures…

Il est donc proposé de faire en sorte que les magistrats qui traitent d’affaires de contrefaçons ne traitent presque que de ça, pour ne pas avoir à relativiser. Il est aussi proposé (p.19) que les juges soient formés « non seulement dans le domaine de la propriété intellectuelle, mais également sur les enjeux économiques de la lutte contre la contrefaçon et, plus généralement, sur le fonctionnement d’une entreprise et sur les nouvelles technologies ». Par ailleurs, les magistrats spécialisés pourraient être issus d’administrations comme l’INPI (dont on connaît les vues), ou même de l’HADOPI, ou de la direction du ministère de la culture en charge du droit d’auteur. « Il s’agit de développer les parcours professionnels des magistrats spécialisés en les affectant dans des fonctions leur permettant d’utiliser l’expertise acquise » (.p22). Il est intéressant, à ce sujet, de relever la réponse du ministère de la Justice. Il se dit « favorable à une telle spécialisation (…) compte tenu de la haute technicité du contentieux comportant des enjeux économiques, sociaux et médiatiques majeurs« . On se demande à quoi les enjeux médiatiques correspondent…

Par ailleurs, le rapport s’intéresse aux dommages et intérêts. Pas assez élevés selon les sénateurs, qui proposent qu’en matière civile, les tribunaux puissent aller plus loin que la simple réparation du préjudice subi, et reverser « les fruits de la contrefaçon » à la personne lésée, « si le contrefacteur est de mauvaise foi » (p. 32). Mais ils ne s’inquiètent pas du fait qu’il s’agirait alors d’un enrichissement dû à une activité illicite et condamnée pénalement, et que l’effet pervers pourrait être de laisser prospérer la contrefaçon, dans le but de rafler la mise en cas de succès du contrefacteur.

Pour démontrer la trop grande gentillesse des tribunaux à l’égard des contrefacteurs, les sénateurs rapportent les propos de l’UNIFAB, qui se plaint (p. 51) des sanctions trop légères à son goût prononcées dans l’affaire du piratage du film Les Bronzés 3. Trois accusés avaient été condamnés à 1 mois de prison avec sursis et 15 000 euros de dommages et intérêts, alors que l’éditeur estimait son préjudice à 15 millions d’euros. A l’inverse, ils pointent du doigt la condamnation de Radioblog à 1 million d’euros de dommages et intérêts. Une exception qu’ils ne déplorent pas, mais qu’ils jugent comme l’application de fait de leur proposer de restituer les fruits de la contrefaçon aux victimes.

Les rapporteurs proposent aussi que les jugements sur les sanctions pécuniaires pénales soient rendues par une chambre mixte, avec des juges civils, parce qu’il est « manifeste que le juge répressif accorde des indemnisations bien moindres que le juge civil lorsqu’il est saisi de faits similaires » (p.54).

Enfin, le rapport préconise de revenir sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui protège les hébergeurs de contenus de toute responsabilité pénale s’ils hébergent des contenus contrefaits. Mais c’est un sujet auquel nous consacrons tout un article

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