Tout est parti de la publication de télégrammes de la diplomatie américaine, en décembre dernier. Après avoir égratigné une première fois les États-Unis en révélant l’an dernier des centaines de milliers de documents confidentiels sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan, le site web lanceur d’alerte s’est penché sur l’appareil diplomatique américain.
Après avoir été pratiquement chassé des États-Unis,Wikileaks a trouvé refuge en Europe. Mais l’arrivée du site lanceur d’alerte sur le Vieux Continent, et notamment en France via l’hébergeur OVH, n’a bien entendu pas plus au gouvernement. Dès le 3 décembre, Éric Besson a écrit au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) pour trouver un moyen d’éjecter Wikileaks hors de France.
Plus de deux mois après la réaction outragée d’Éric Besson, force est de constater que l’éviction de Wikileaks n’a pas eu lieu. Or, le ministre de l’économie numérique avait précisément saisi le CGIET pour connaître les moyens juridiques et / ou techniques permettant de chasser le site web. Mais depuis, les conclusions du CGIET sur l’hébergement de Wikileaks restent un mystère.
Pourtant, Éric Besson n’avait pas de mots assez durs pour condamner l’action du site web. « La France ne peut héberger des sites Internet qui violent ainsi le secret des relations diplomatiques et mettent en danger des personnes protégées par le secret diplomatique. On ne peut héberger des sites Internet qualifiés de criminels et rejetés par d’autres États en raison d’atteintes qu’ils portent à leurs droits fondamentaux« .
Éric Besson oublie sans doute que les États-Unis ont aussi fait de la liberté d’expression un droit fondamental à travers le premier amendement de la Constitution américaine. En France, le député François Loncle avait de son côté plaidé en faveur de Wikileaks, invitant le ministre à défendre la liberté d’information et de cesser le boycottage des sites français hébergeant Wikileaks.
Le silence du gouvernement autour de Wikileaks laisse à penser que le CGIET n’a pas trouvé un angle suffisamment solide pour entamer une action permettant de mettre fin à l’hébergement de Wikileaks en France. En décembre, le cabinet du ministre avait pourtant assuré que « la décision [d’interdire Wikileaks] sera prise prochainement au niveau interministériel« .
L’absence apparente de leviers permettant d’empêcher les hébergeurs français de fournir des services au site lanceur d’alerte n’empêche pourtant pas d’autres ministres, à l’image de Frédéric Mitterrand, d’afficher leur soutien. « Je suis partisan effectivement » de cette interdiction, parce que « les renseignements qui sont fournis par Wikileaks ont été volés, ils ont été piratés en quelque sorte » avait-t-il expliqué.
Sur le terrain judiciaire, la situation demeure également incertaine. Sous pression politique, OVH avait décidé de formuler deux requêtes, l’une devant le tribunal de grande instance de Paris l’autre devant le TGI de Lille, pour que la justice se prononce sur la légalité de l’hébergement de Wikileaks par une société française. « Ce n’est pas au monde politique ni à OVH de demander ou de décider la fermeture ou pas d’un site » avait expliqué le directeur d’OVH.
Or, les deux tribunaux ont rejeté les deux requêtes en expliquant qu’il ne leur appartient pas de dire si la situation décrite est ou non constitutive d’un trouble manifestement illicite. Ces deux rejets autorisent de facto l’hébergement de Wikileaks en France, même si le TGI de Lille a rappelé « qu’il appartient en revanche à OVH, si elle estime que sa responsabilité peut être engagée, d’elle-même suspendre l’hébergement des sites Wikieleaks, sous nécessité d’une autorisation judiciaire pour ce faire« .
Autrement dit, une action en justice menée de la part d’une personne ayant intérêt à agir contre Wikileaks pourrait éventuellement conduire à une interdiction de Wikileaks en France. Pour l’instant, cette action en justice n’a pas encore eu lieu. Et quand bien même une telle action surviendrait, rien n’indique pour l’instant qu’elle atteindrait son but.
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