C’est un discours qui se diffuse de plus en plus largement en ligne. Sur les plateformes numériques, les propos de certaines influenceuses, s’apparentant à du prosélytisme, interpellent leur communauté et les organismes de lutte contre les dérives sectaires.

Depuis plusieurs semaines, les « bgnyas » sont en deuil. Ces fans inconditionnels de l’influenceuse française Ophenya ont dû lui dire au revoir. Non seulement son compte TikTok, comptabilisant plus de 4,8 millions d’abonnés, a été suspendu. Mais en plus, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a saisi la justice au sujet de la créatrice de contenu le 13 novembre 2024.

Ophenya n’est pas la seule à se retrouver dans le viseur de la Miviludes. Plusieurs personnalités françaises ont révélé leur appartenance à divers courants religieux, connus pour leurs dérives sectaires préoccupantes. Parmi celles-ci, on retrouve Andy (1,2 million d’abonnés sur YouTube), mais aussi Haneia (200 000 abonnés sur Instagram), une autre candidate de télé-réalité devenue mormone, habitant désormais dans l’Utah avec son époux.

Selon la Miviludes, une dérive sectaire est « un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes […] ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ». Alors, ces influenceuses font-elles la promotion de dérives sectaires ?

Rejet du passé, interdits et « nouvelle famille » : le récit d’une renaissance spirituelle

« Je préfère perdre tout ce que j’ai, mais vivre avec Dieu », s’exclame la YouTubeuse So Andy, tout sourire. Assise face caméra, elle arbore un pendentif en forme de croix à son cou tandis qu’un crucifix en bois trône derrière elle.

Pendant près de 40 minutes, la vidéaste et ancienne candidate de téléréalité explique, dans une vidéo publiée en mai 2024 sur sa chaine YouTube, sa chute dans l’occultisme et le New Age, puis sa découverte de l’évangélisme. Désormais, Nadège [Andy] Dabrowski est baptisée, a rejoint une église évangélique et a supprimé toutes ses vidéos sur l’astrologie (« des abominations aux yeux de Dieu », appuie-t-elle en citant le Deutéronome).

Andy oppose sa période d’errance spirituelle à celle d’après, marquée par sa rencontre avec Jésus. D’abord « réconciliée avec les chrétiens » grâce à son mariage religieux, Andy vit ensuite une séparation douloureuse. Elle aurait alors eu une révélation en tombant sur une vidéo YouTube intitulée « Comment Dieu a écrit notre histoire d’amour ».

Selon elle, tout fait sens : si elle n’a pas d’hommes dans sa vie, « c’est la volonté de Dieu » et il fait ça pour la protéger. Elle subit alors une série d’ « attaques spirituelles » destinée à la tester. Elle rencontre ensuite un pasteur évangélique, David Antoine, se rend à un culte, assiste à un exorcisme (ou « délivrance », selon le jargon), et devient chrétienne protestante évangélique. « J’ai vraiment mis ma vie de côté et j’accepte ce que Dieu me donne », résume-t-elle, rayonnante.

Un rejet du passé que l’on retrouve aussi chez Haneia, membre de l’ « Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours », ou mormonisme. « J’ai dû apprendre à revivre dans un mode de vie beaucoup plus sain, à avoir un entourage beaucoup plus restreint, à couper par exemple les sorties… […] Ça a été extrêmement radical », raconte-t-elle dans la toute première vidéo de sa chaîne publiée le 6 avril dernier. Même si, contrairement à l’évangélisme, le mormonisme n’est pas considéré comme une dérive sectaire par la Miviludes ou le CCMM, le Centre contre les manipulations mentales.

Ce rejet passe aussi par la suppression d’anciens contenus qui ne correspondent plus aux vidéastes. Chez Andy, c’est l’astrologie (« je les ai toutes virées ces vidéos-là », confie-t-elle). Quant à Haneia, elle a retiré les contenus dans lesquels elle était « un peu trop dénudée ». Plus loin encore : chez l’une comme chez l’autre, les interdits fusent. Du côté d’Andy, c’est l’astrologie, la voyance et le yoga. Du côté de Haneia, c’est le tabac, l’alcool ou les relations sexuelles.

Une inquiétude légitime de la communauté ?

Plusieurs détails du récit d’Andy ont marqué sa communauté. La grande majorité des commentaires sont positifs et proviennent de personnes religieuses. Les commentaires les plus virulents et négatifs ont quant à eux été modérés sur sa chaîne.

On peut tout de même y lire certaines interrogations : « Même si je ne pense pas que vous soyez dans une secte, vous avez des propos un peu extrémistes », avance-t-on à propos de sa soudaine aversion pour l’astrologie. « Certaines églises évangéliques cachent en fait des organisations à dérives sectaires », avertit une autre. Ailleurs, sur TikTok, là où son compte est privé, les internautes sont encore plus radicaux. Sous des extraits de sa vidéo, où elle explique avoir découvert « un monde parallèle », « qu’on nous a caché », on peut lire : « elle a l’air vraiment sous emprise, genre dans le déni de la réalité. »

Si bien que la YouTubeuse s’est justifiée dans une seconde vidéo, le 29 août : un vlog retraçant son baptême au lac Léman. 

Elle organise un débat opposant cinq évangéliques (dont elle) à sa mère, athée et ayant un penchant pour les mouvances dites « occultes ». « Non, nous ne sommes pas une secte », martèlent-ils. « Je n’ai jamais eu l’impression qu’on m’essayait de me forcer à penser quoi que ce soit », affirme Andy.

Les églises évangéliques, sources d’un risque de dérives sectaires

Ces contenus cachent-ils un prosélytisme 2.0 ? Selon Marie Jaudet, du service presse du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, la Miviludes a reçu une seule saisine composée uniquement d’une vidéo de So Andy, « sans faire référence à des signaux d’alerte caractérisant une éventuelle dérive sectaire ».

Pour clarifier un peu, une saisine est une demande d’avis, un signalement ou un échange entre une personne et la Miviludes. Chacune d’elles est prise en charge par un conseiller. Il peut orienter la personne en question vers une association d’aide aux victimes, transmettre les informations aux services compétents, réquisitionner, signaler au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou classer sans suite.

Marie Jaudet nous confirme que la Miviludes est « régulièrement saisie par des interrogations et témoignages au sujet de certaines églises évangéliques […] au sein desquels un risque de dérive sectaire peut être observé, notamment en raison de la possible emprise mentale subie par les adeptes et exercée par un leader se voulant particulièrement charismatique, de l’exercice d’un prosélytisme récurant, de tentatives de rupture avec l’environnement d’origine couplées à des exigences financières exorbitantes ».

Cette « emprise mentale » passe même parfois par des discours dangereux pour la santé d’autrui. Le pasteur mentionné par Andy dans sa vidéo, le frère David Antoine, partage ainsi plusieurs témoignages pour le moins lunaires sur TikTok. On y apprend que Jésus guérirait des cancers de l’estomac, de la dépression, des crises cardiaques…

Marie*, que Numerama a pu interroger, a justement perdu de vue sa meilleure amie Emma* à cause de l’église évangélique. En errance scolaire, esseulée, la jeune femme a rejoint un groupe de jeunes évangéliques à la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse.

Marie a alors vu son amie se transformer, restreignant son entourage aux jeunes évangéliques (« ils sont tout le temps ensemble »), suivant les retransmissions des cultes à la télévision et se « radicalisant » de plus en plus. « Elle a commencé à rentrer dans un truc de persécution, se rappelle Marie, sur l’intolérance du monde contre les évangélistes. »

Un comportement qu’on peut rapprocher de celui d’Andy : dans sa vidéo explicative, elle note justement : « Si j’avais dit que j’avais rejoint l’église catholique, j’aurais choqué personne. » Une logique qui peut aussi encourager les évangéliques à s’isoler du reste du monde, au prétexte que ce dernier ne peut pas les comprendre. « C’est difficile de sortir de l’église parce que justement, tous tes amis sont dans l’église », avance Marie. Aujourd’hui, elle ne parle plus à Emma ; aux dernières nouvelles, cette dernière s’est mariée avec un évangélique.

L’algorithme, le véritable prosélyte ?

Ces créatrices de contenu nient toute volonté de propagande. Au début de chaque vidéo, Andy précise que les personnes sont libres d’interrompre le visionnage si elles ne souhaitent pas entendre parler de religion. « C’est pas pour faire du prosélytisme, on veut juste partager la bonne nouvelle », plaide-t-on dans sa vidéo du 29 août — contactée par la rédaction de Numerama dans le cadre de cet article, So Andy n’a pas donné suite à notre sollicitation.

En réalité, c’est surtout l’algorithme des plateformes qui joue le rôle de prosélyte, affinant ses recommandations au fur et à mesure des contenus consommés. Rappelons qu’Andy a justement découvert l’évangélisme grâce à YouTube, et qu’elle le prêche aujourd’hui à son tour sur… YouTube.

Selon Marie Jaudet, les réseaux sociaux ont participé à la diffusion accrue de ces discours… notamment depuis le confinement. « La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs sectaires, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères, la recherche de solutions simples face à des questionnements existentiels, par définition complexes », nous explique-t-elle.

« Ainsi, ces manipulateurs isolés et parfaitement autonomes ont pu aisément exploiter ce contexte pour propager leur doctrine sur les réseaux sociaux. En procédant ainsi, ces gourous 2.0′ ont pu s’offrir, non seulement une véritable vitrine publicitaire pour leur activité, mais aussi un espace pour réunir et contrôler une communauté virtuelle dont la souffrance est – quant à elle – bien réelle. »

Alors, si ces contenus vous fatiguent ou vous inquiètent, lorsque vous les apercevez sur votre fil d’actualité, vous pouvez cliquer sur les trois petits points, puis sur « Pas intéressé ».

Si vous connaissez quelqu’un concerné par cette situation, ou que vous êtes vous-mêmes membre d’une association qui s’apparente à une secte et avez besoin d’aide, vous trouverez de nombreuses ressources pour vous aider juste ici.

*Les prénoms ont été modifiés.

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