Ce mois-ci, c’est un internaute du nom d’Emmanuel Ruimy qui a presque déterré un rapport gouvernemental d’il y a 30 ans. Intitulé « Les autoroutes de l’information », il avait déjà un nom bien institutionnel (mais inventé par Al Gore, alors vice-président des États-Unis), pour une image que tout le monde voit immédiatement. Cependant, il s’est complètement « planté » : il disait en substance que le Minitel était à l’époque l’avenir de l’information numérique. La mort du Minitel en 2012 lui a donné tort, les TikTok avec des clips Twitch superposés à des couteaux qui coupent du sable aussi.
Les autoroutes de l’information : un rapport commandé par Edouard Balladur en 1994
Comme on peut le lire sur le site Vie publique, en 1994, le haut fonctionnaire et polytechnicien Gérard Théry (l’un des fondateurs du Minitel), accompagné par les rapporteurs Alain Bonnafé et Michel Guieysse rendaient à Édouard Balladur, alors Premier Ministre, un rapport sur « les autoroutes de l’information ». Il visait alors à éclairer la France sur la stratégie à adopter à propos de ces fameuses autoroutes. Que ce soit avec Internet, le Minitel et même France Télécom. Un bon gros rapport comme personne n’aime en lire.
Il faut préciser que Gérard Théry n’était pas n’importe qui. En 1978, en tant que directeur de la Direction Générale des Télécommunications, il avait décidé d’utiliser le réseau téléphonique avec des terminaux abordables, qui allaient devenir les Minitels. Dans sa nécrologie, Le Monde rappelait qu’il avait participé à rattraper le retard la France en matière de télécommunications grâce à de vastes chantiers, entre téléphonie et numérique.
Le Minitel vs Internet
À l’époque, le rapport reconnaissait qu’Internet s’était « largement étendu au niveau mondial », grâce à une « une prise en charge d’une partie de son exploitation par l’Administration fédérale (américaine, ndlr) » et à « son propre protocole ouvert à tous les utilisateurs ».
Si certaines phrases de Théry indiquaient que le Minitel était meilleur, le rapport n’enterrait pas tout à fait Internet et était même plutôt visionnaire : « Internet tend à s’imposer au reste du monde et pourrait devenir, après amélioration, le vecteur américain prioritaire des autoroutes de l’information, avec le bénéfice d’une implantation internationale et d’une avance concurrentielle en termes de services et d’équipements. » On notait aussi qu’il ne pouvait pas offrir « des services de qualité en temps réel de voix ou d’images », signe qu’il ne faut pas trop juger une technologie au moment de son émergence et condamner par défaut ses possibilités.
Théry écrivait enfin qu’Internet n’était pas assez sécurisé et pas assez fiable et qu’il n’y avait pas d’annuaire (Google a été fondé quatre ans plus tard, Yahoo! et Lycos cette année-là).
Ne retenir qu’une solution pour la France était une erreur évidente et le rapport n’est pas passé à côté. Il appelait à « promouvoir des services destinés aux micro-ordinateurs à des débits plus élevés que ceux du Minitel, sur le réseau téléphonique et sur Numéris. Parmi les réseaux existants, les réseaux câblés pourront jouer un rôle particulier. » Que ce soit le Minitel avec le réseau téléphonique ou Internet avec un réseau câblé (ou à défaut le réseau téléphonique), qu’importe : le fil était l’avenir.
Internet ne décollera jamais : en fait, si
Là où le rapport se trompait, c’est qu’il indiquait qu’Internet n’était pas adapté pour les services commerciaux, et que ce système n’engendrait qu’un douzième du chiffre d’affaires mondial sur les services du Minitel. Pour Gérard Théry donc, « les limites d’Internet démontrent ainsi qu’il ne saurait, dans le long terme, constituer à lui tout seul, le réseau d’autoroutes mondial. »
L’erreur était peut-être dans l’étude des dynamiques des deux systèmes, comme l’avait fait remarquer Philippe Silberzahn dans un billet en 2013 : « comparer Internet et Minitel en 1994, c’est comparer un système balbutiant, à l’aube de sa croissance, et un autre en fin de vie. […] ignorer cette dynamique est fatale. »
Si les liens entre Gérard Théry et « son » Minitel son indéniables, il est quelque peu facile d’attaquer Les autoroutes de l’information. 30 ans plus tard, Internet est partout, le Minitel nulle part (sauf au fond de votre grenier). Mais rappelons qu’en 1994, quand le rapport est écrit, le système était à son apogée : 23 000 services et près de 90 millions d’heures de connexion.
Mais le déclin est déjà là. La communication est terminée et il n’est plus utilisé que pour des services. Surtout, les limites techniques se font sentir, puisque cela fait plus d’une dizaine d’années qu’il n’a pas vraiment changé. Les Français se rendent progressivement compte que le Minitel n’est pas indispensable.
C’est l’avenir qui donnera tort à Gérard Théry, mais également un changement de politique. En 1997, alors que Lionel Jospin devient Premier Ministre, il favorise Internet, au détriment du Minitel. C’est ce qui marquera le début de la fin pour le Minitel, définitivement débranché le 30 juin 2012 par un France Télécom devenu Orange. Il n’était plus très utilisé et les tentatives de le relancer avaient toutes échoué.
Entre temps, même le Minitel rose a été remplacé par Tinder.
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