2 milliards de dollars : c’est le montant astronomique misé sur l’élection présidentielle américaine du 5 novembre, sur le site Polymarket.
Le principe de Polymarket est simple : on investit sur un pari comme s’il s’agissait d’une action. Son prix fluctue entre 0 (chance nulle) et 1 dollar (événement certain). Cette gigantesque bourse de l’actualité en temps réel offre de nombreux choix. Outre la politique, on peut ainsi parier sur le nom du Ballon d’Or ou sur la confirmation de l’existence des extraterrestres en 2024 (3 % de chance). Et sur Polymarket, toutes les mises se font en cryptomonnaie.
Prédire le futur à coup de paris en ligne, le pari de Polymarket
Mais Polymarket est bien plus qu’un simple site de paris en ligne. La plateforme se revendique comme un « marché prédictif », où les intuitions collectives forment un pronostic plus précis que n’importe quel sondage. À sa tête, un jeune CEO de 26 ans avec un slogan qui claque : « Faites confiance au marché, pas aux sondages ». Il souhaite ainsi « réinventer la manière dont on suit les élections » écrit-il, en agrémentant ses posts d’émojis « boule de cristal ». Certains médias, ainsi que des personnalités controversées, lui emboîtent le pas.
Il faut dire que lors des six dernières élections, les sondeurs se sont en moyenne trompés de 3,1 points dans leurs estimations, selon le New York Times. Face aux prévisions imparfaites des instituts de sondage, qui s’expliquent notamment par la complexité du collège électoral américain, les médias cherchent depuis longtemps des alternatives.
Bingo : Polymarket offre justement des données actualisées temps réel, 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Au fil de la campagne, les datas de la plateforme ont ainsi conquis les plateaux télé, comme sur CNN et plusieurs autres grands médias américains. En France également, on a pu apercevoir des pourcentages issus de Polymarket sur la chaîne LCI, dans son émission du 20 octobre.
Le succès est fulgurant. En quelques mois, Polymarket est devenue l’application n°1 en termes de téléchargement sur l’App Store américain, dans la catégorie « médias et journaux », devant le New York Times et CNN. Preuve que de plus en plus d’Américains l’utilisent pour s’informer sur les dernières tendances de la campagne.
Donald Trump donné favori par les parieurs : oui mais
Officiellement, Donald Trump et Kamala Harris sont au coude-à-coude dans les enquêtes d’opinion. Mais sur Polymarket, l’écart est beaucoup plus important. À quelques jours du vote, la victoire de Trump s’échange à 0,65 $ (65 % de chance de victoire) contre 0,35 $ pour Kamala Harris. Cette grille de lecture alternative fait le bonheur de Donald Trump, qui a republié un graphique tiré de la plateforme. « Je n’ai aucune foutue idée de ce que ça veut dire, mais apparemment, on se débrouille plutôt pas mal », a-t-il lancé lors d’un meeting dans le Michigan.
Cette façon de trouver des réponses à travers les paris en ligne porte d’ailleurs un nom : la « futarchie ». Autrement dit, l’utilisation des données des marchés de prédiction pour faire de meilleures prévisions et influencer les décisions. Une vision qui séduit Elon Musk, l’un des plus fervents soutiens du candidat républicain. Pour lui, ces prédictions sont « plus précises que les sondages, car il y a de l’argent en jeu ». Sur X, le milliardaire a d’ailleurs encouragé ses abonnés à se tourner vers Polymarket. Il partage régulièrement l’évolution de la courbe, tout en y voyant la preuve ultime que Kamala Harris va perdre. Les tweets d’Elon Musk ont eu un impact sur la côte de Donald Trump, puisque ses fans sont friands des cryptomonnaies et des investissements.
Cependant, manipuler ces marchés de prédictions (et donc, les opinions) semble très facile. Un trader français, Fredi9999, a ainsi misé 25 millions de dollars crypto sur Trump, au point d’influencer la côte de l’ancien président à la hausse. Depuis, il est dans le viseur de la Commodity Futures Trading Commission (l’agence américaine qui régule les marchés). L’organisme a déclaré surveiller les paris de très près, et particulièrement les transactions d’une poignée d’utilisateurs, dont le mystérieux français.
Polymarket, une menace (de plus) pour la démocratie américaine
De son côté, Polymarket se défend de favoriser un candidat et d’influencer les élections. « C’est la main invisible qui fixe les cotes », assure le CEO de la plateforme sur X.
Toutefois, si l’entreprise clame que ses données sont non biaisées et fidèles, « la sagesse des foules » est loin d’être une science exacte. Pour la chercheuse Molly White, critique des cryptomonnaies, de nombreux biais posent un réel danger pour la démocratie américaine. « Certains journalistes présentent Polymarket comme s’il s’agissait d’un sondage neutre, alors qu’il s’appuie sur un public très restreint et technophile », nous explique-t-elle. Un public fan d’Elon Musk et de ses propositions, que Donald Trump suit sans trop comprendre.
Pour parier sur Polymarket, il faut maîtriser a minima l’achat de cryptomonnaies, ce qui n’est pas le cas de toute la population. D’autant plus que parier pour un candidat ne signifie pas nécessairement adhérer à son programme. « On peut très bien parier sur Trump pour jouer la côte, et voter pour Kamala Harris dans la vie réelle », précise Molly White. Plus grave encore, les sommes en jeu peuvent certainement tenter les politiques et fragiliser la démocratie américaine, déjà mise à mal par la désinformation.
« Est-ce que le fait de pouvoir parier sur les élections est bénéfique pour la société, pour le cycle électoral ou pour l’appareil politique en général ? », interroge la chercheuse. Si l’issue du duel entre Donald Trump et Kamala Harris est plus que jamais incertaine, Polymarket aura réussi à imposer son modèle dans la façon dont nous suivons les élections. Reste à voir si l’avenir lui donnera raison (et s’il l’aura lui-même provoqué)… ou s’il se trompe complètement.
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