Quatre ans plus tard, Donald Trump revient donc à la Maison-Blanche. Celui qui avait déjoué une première fois tous les pronostics en 2016 en remportant l’élection présidentielle face à Hillary Clinton est encore parvenu à prendre le pouvoir aux États-Unis. Dessinée dans la nuit du 5 au 6 novembre, la victoire contre Kamala Harris est nette.
Comme en 2016, c’est une période de turbulence qui s’ouvre aussi bien aux USA — le pays est polarisé comme jamais, avec des divisions spectaculaires, notamment entre les hommes et les femmes — qu’à l’étranger. Pour le reste du monde aussi, le comeback réussi de Donald Trump rebat largement les cartes pour les quatre prochaines années.
Incontestablement, la présidence Trump aura des bouleversements à de très nombreux niveaux, et en faire la liste apparaît déjà interminable. Par ailleurs, il y a aussi toutes les répercussions qui sont encore hors de vue aujourd’hui, mais qui surgiront au fil du mandat. L’Union européenne ne sera d’ailleurs pas épargnée.
Signe que cela pourrait tanguer très fort, le tweet d’Emmanuel Macron : « Je viens d’échanger avec le chancelier Olaf Scholz. Nous allons œuvrer pour une Europe plus unie, plus forte, plus souveraine dans ce nouveau contexte. En coopérant avec les États-Unis d’Amérique et en défendant nos intérêts et nos valeurs. »
Pour autant, quelques points saillants peuvent être déjà anticipés.
Un conflit commercial entre les USA et l’Union européenne
C’est une constante depuis la présidence Obama : les USA ont choisi de faire un pivot stratégique vers l’Asie, parce que c’est là (dans la zone du Pacifique) que bat le cœur de l’économie mondiale et que se trouve son grand rival stratégique, la Chine. Si les démocrates ménageaient quelque peu l’Europe, pas Trump.
Compte tenu de la ligne économique affichée par Donald Trump, avec le levier des droits de douane, les coups risquent d’être durs sur l’économie de l’UE, avec des difficultés croissantes à commercer avec les USA. C’est une crainte notamment soulignée par Thierry Breton, l’ancien commissaire au marché intérieur de l’Union.
« Il faut qu’on se prépare immédiatement aux répercussions éventuelles d’une guerre tarifaire, Trump risque d’augmenter les droits de douane. Cela veut dire pour nous d’être prêts à avoir des mesures de rétorsion », a-t-il ajouté. La concertation téléphonique en urgence entre Macron et Scholz doit être considérée
Un horizon sombre pour l’OTAN
Sur un plan militaire, le pivot des USA vers l’Asie ouvre inévitablement la problématique d’un désengagement et d’un désintérêt de Washington pour le Vieux Continent. Avec, en outre, un président Trump qui apparaît plutôt isolationniste qu’interventionniste, l’analyse qui ressort est que Moscou va particulièrement apprécier ce résultat.
Durant son premier mandat, Trump s’avérait très critique de l’OTAN. Il trouvait, non sans raison, que tous les pays n’assumaient pas bien le fardeau de la défense, avec un investissement de 2 % du PIB. Depuis, les choses se sont passablement améliorées, mais tous les pays européens ne sont pas encore à niveau.
Donald Trump, qui a un rapport très transactionnel aux choses, pourrait le faire payer. Le réveil risque d’être d’autant plus douloureux qu’un premier mandat de Trump a eu lieu et que le boulet n’est pas passé loin. D’aucuns soulignent que l’Europe a eu quatre ans, voire huit ans, pour s’y mettre, et que rien n’a véritablement été fait.
D’ailleurs, pour souligner à quel point l’heure n’est pas à la fête de ce côté-ci de l’Atlantique, Fabian Hoffmann, chercheur à l’université d’Oslo et expert des questions de défense et de stratégie nucléaire, considère que la France devrait dès à présent renforcer et diversifier son arsenal d’ogives nucléaires, en raison du retrait possible de l’Amérique.
Où est l’autonomie stratégique de l’UE ?
« L’autonomie stratégique de l’Europe, ça vous dit quelque chose ? ». C’est l’un des tweets publiés par Thierry Breton dans la matinée, et qui souligne le problème immédiat de l’UE. Le continent ne se pense et ne se construit pas — en tout cas pas assez — comme une puissance autonome, y compris face aux États-Unis.
« Il faut que l’Europe soit de plus en plus autonome, stratégique, et augmente massivement ses capacités de production, de défense. C’est absolument existentiel », a-t-il encore ajouté. Des voix s’élèvent d’ailleurs pour appeler à une réunion de haut niveau, par exemple entre la France, l’Allemagne, la Pologne et même le Royaume-Uni.
Les tweets illustrant à quel point l’UE risque d’être seule fusent d’ailleurs. « Bonjour, Europe ! Sois prête à te battre pour toi et tes amis ! », a lancé Marko Mihkelson, président de la commission des affaires étrangères du Parlement estonien. D’autres soulignent la trop grande dépendance militaire qu’ont des pays à l’égard de Washington et qui pourrait leur jouer des tours.
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L’effort à consentir apparait toutefois colossal (on parle de passer l’effort de défense à 4 ou 5 % du PIB, contre 2 %, par exemple, et par ailleurs pousser encore plus à fond l’intégration européenne pour consolider, homogénéiser et unifier le marché unique). Mais le prix à payer est lourd — terminées, les dividendes de la paix — et les finances publiques sont à terre.
Retour du climatoscepticisme à la Maison-Blanche
Ce n’est pas une surprise : Donald Trump refuse toute responsabilité humaine sur le climat. On se souvient qu’il avait nommé lors de son premier mandat un climatosceptique à la tête de l’Agence de protection de l’environnement. Il avait aussi agi pour retirer les USA de l’accord de Paris sur le climat, jugé néfaste pour les intérêts de l’Amérique.
Si Joe Biden est intervenu pour réintégrer les États-Unis dans l’accord, on peut maintenant s’attendre à ce que Donald Trump refasse machine arrière. Idem concernant le détricotage des régulations au niveau fédéral. Trump pourrait aussi prendre le leadership d’une coalition des climatosceptiques dans les instances internationales.
Même si l’environnement n’a pas été un thème notable durant la campagne présidentielle, les convictions de Trump sur le sujet n’ont sans doute pas changé en l’espace de quatre ans. Et cela, même si le pays est aussi frappé par des épisodes météorologiques terribles — feux de forêt, sécheresse, canicule, ouragans, etc.
Une catastrophe à venir en matière de santé
Dans ce chapitre plus américano-américain, il semble que Donald Trump souhaite confier à Robert F. Kennedy Jr (celui-ci se présentait sous une étiquette d’indépendant avant de soutenir le républicain) un rôle dans son administration. C’est le portefeuille de la santé que le neveu de JFK (dont le seul point commun est d’avoir le même nom) récupérerait.
Si c’est le cas, une catastrophe se dessine à l’horizon. Robert F. Kennedy Jr est devenu au fil des ans un théoricien du complot notoire. Il a pris position contre la vaccination au moment de l’épidémie de coronavirus. Ou, tout du moins, il est connu pour avoir exprimé des doutes dessus et demandé s’il serait possible d’interdire certains vaccins.
Plus récemment, Robert F. Kennedy Jr a plaidé pour cesser d’ajouter du fluor dans le système de distribution d’eau potable (la fluorisation de l’eau), car, selon lui, cela contribuerait à l’arthrite, aux fractures osseuses, au cancer des os, à la perte de QI, aux troubles du développement neurologique et aux maladies thyroïdiennes.
Le New York Times souligne qu’une exposition prolongée et excessive peut être néfaste pour la santé, mais c’est vrai si c’est une exposition prolongée et excessive. Or, la fluorisation de l’eau telle qu’elle est pratiquée aux USA se trouve à des seuils plus bas par rapport aux préconisations en vigueur. Le péril sanitaire n’est donc pas avéré.
S’il est recommandé de poursuivre les études sur le sujet, la fluorisation de l’eau est aussi perçue comme un moyen d’aider la population américaine (les enfants comme les adultes) d’avoir un renfort en fluor en cas de déficit. C’est une politique perçue comme un moyen d’aider des populations précaires à réduire le risque de caries.
Il y a enfin la santé des femmes et plus généralement leurs droits. Le retour de conservateurs à la Maison-Blanche pourrait entraîner une série de reculs aussi bien aux USA que dans le reste du monde : discriminations au travail, accès aux soins, etc. Une lueur, toutefois : même si Trump a réussi à revenir, le droit à l’avortement a été étendu dans plusieurs États.
Une dérégulation en faveur d’Elon Musk
Parmi les géants de la tech, s’il y a bien un heureux, c’est Elon Musk. Le milliardaire et entrepreneur fait depuis des mois campagne pour Donald Trump, en mettant la puissance de son réseau social, X, et son audience à son service. « L’avenir sera fantastique », a-t-il écrit. La perspective d’une dérégulation au profit de ses entreprises joue.
Elon Musk compte sans doute sur un « retour sur investissement » contre son aide. Dans le spatial (SpaceX), dans la voiture (Tesla), dans l’IA (xAI), dans la neurotechnologie (Neuralink), etc. Outre la dérégulation, il pourrait aussi espérer davantage de deals venant du secteur public (c’est vrai pour SpaceX notamment).
Un exemple récent : SpaceX s’est récemment pleinte publiquement de la FAA, l’administration de l’aviation civile aux États-Unis. Il lui est reproché sa lenteur et sa lourdeur et surtout de ne pas être au niveau des ambitions américaines et d’Elon Musk en matière de conquête spatiale. En creux, on comprend qu’Elon Musk veut avoir les coudées franches.
Google et Facebook en péril ?
Concernant les autres géants de la tech, les rapports pourraient ne pas être très bons.
En octobre dernier, lors d’une interview à Bloomberg, Donald Trump a fait part de son avis concernant Google, que la justice américaine menace de démanteler (on parle notamment d’enlever Chrome ou Android) — la société a été reconnue en situation de monopole. Selon lui, le géant du web est « vraiment méchant avec lui ».
L’entente avec Facebook n’apparait pas non plus au beau fixe. Trump avait été banni de Facebook et d’Instagram (deux plateformes qui appartiennent au même groupe) après l’insurrection qui a mené à l’assaut contre le Capitole, et il semble en avoir gardé une forte rancune. Cela, même s’il a été réadmis début 2023 et que d’autres sites ont fait de même.
« La Big Tech est hors de contrôle », avait-il d’ailleurs lâché en 2021 quand il avait été mis à l’écart de nombreux réseaux sociaux américains. Il y a fort à parier que des représailles émergent. D’ailleurs, Donald Trump serait prêt à laisser TikTok tranquille, sans le bannir, malgré les liens que l’on évoque avec la Chine, juste pour ennuyer Facebook.
Parmi les autres GAFA, Apple semble avoir des relations plus apaisées.
En octobre, Donald Trump a affirmé avoir reçu un coup de fil de Tim Cook pour se plaindre des sanctions de l’UE contre Apple. Quant à Amazon, propriété de Jeff Bezos, sans doute Trump a-t-il eu vent du cas du Washington Post, autre propriété de Bezos, qui n’a pas soutenu Harris. Cela pourrait compter à l’avenir.
Quant à X (ex-Twitter), on devine que le réseau social ne risque absolument rien, en raison du rôle d’Elon Musk. Peut-être même Donald Trump pourrait-il prendre fait et cause pour le site face à l’UE et ses velléités de régulation avec le DMA et le DSA. L’Europe pourrait-elle résister à une pression venue de la Maison-Blanche de cette nature ?
L’Ukraine face à un horizon préoccupant
Isolationniste, Donald Trump ne semble pas vouloir suivre la politique de Joe Biden sur la manière de soutenir militairement et financièrement l’Ukraine. Il y a un risque que les robinets soient coupés, ce qui laissera l’Europe face à ses responsabilités — ce qui renvoie aux précédents points sur l’OTAN et sur l’autonomie stratégique.
Donald Trump a affirmé pouvoir ramener la paix en 24 heures, mais cela pourrait se faire au détriment des intérêts de l’Ukraine. Cette bascule a lieu évidemment au pire des moments. La Russie a retrouvé une dynamique sur le champ de bataille, même si les gains territoriaux sont faibles, et il y a même des troupes nord-coréennes dans les parages.
Volodymyr Zelensky a félicité Donald Trump pour sa victoire et a bien sûr eu des mots agréables à son endroit. Le président ukrainien a cherché à bâtir une relation personnelle avec Trump, en le rencontrant notamment au mois de septembre, pendant la campagne, au cas où. Rien ne dit que cela payera, mais cela devait se tenter vu les enjeux.
Pour une Russie redevenue belliqueuse, il y a une fenêtre d’opportunité, car les Européens apparaissent tétanisés à faire autre chose que du soutien « goutte à goutte » alors qu’une guerre a été lancée en Ukraine et que Moscou est pointée du doigt pour ses actions déstabilisatrices un peu partout sur le continent.
Au-delà du théâtre ukrainien, le monde connait plusieurs autres théâtres chauds ou en passe de se réchauffer sur un plan militaire. Il y a bien sûr la guerre au Proche-Orient, avec l’offensive d’Israël sur la Palestine, le Liban et l’Iran, les tensions croissantes entre la Chine et Taïwan, l’audace croissante de la Corée du Nord, la prolifération nucléaire, etc.
Et après, dans quatre ans ?
On l’a vu avec l’assaut du Capitole en janvier 2021. Donald Trump n’est pas un homme qui aime perdre ni qui apprécie perdre le pouvoir. La campagne présidentielle de 2020 s’est achevée sur la contestation des résultats. Pour Trump, c’est sûr : on lui a volé la victoire, il y a eu des fraudes massives, « l’État profond » s’est ligué contre lui.
Maintenant que Trump a retrouvé la Maison-Blanche, une petite musique qui a monté depuis des mois prend maintenant une résonance particulière. Une expression a émergé outre-Atlantique pour décrire ce qui va se passer. Cette fois, il n’y aura « plus d’adultes dans la pièce » pour contenir, canaliser et réorienter le républicain dans ses choix politiques.
Parmi les scénarios du pire, on trouve le « projet 2025 » soutenu par J.D. Vance, le futur vice-président américain. S’il est appliqué, le pays glisserait vers plus d’autoritarisme, teinté de nationalisme et d’extrémisme religieux. L’État de droit serait affaibli, les libertés fondamentales rognées. Si Trump s’est éloigné de ce projet, il a préfacé un ouvrage à ce sujet.
Autre perspective effrayante : l’amendement 22 de la Constitution des États-Unis pourrait aussi sauter, dans un scénario catastrophe de dérive de Washington. C’est cet amendement qui interdit à quiconque d’exercer plus de deux mandats. C’est hypothétique, mais cela implique quelqu’un qui s’est dit prêt à être dictateur « juste » pour un jour.
Est-ce que l’on joue à se faire peur ? Le fait est, en tout cas, que l’on colle désormais beaucoup plus fréquemment qu’avant l’étiquette de fasciste à Donald Trump, . Le qualificatif est employé notamment dans les médias et même un expert du fascisme, comme l’historien américain Robert Paxton, qui trouvait l’appellation galvaudée et inadéquate, a changé d’avis.
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