C’est un discours passé inaperçu, et pourtant très intéressant et révélateur d’un changement d’état d’esprit chez les promoteurs de la propriété intellectuelle. Le 25 février dernier, Francis Gurry, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), est intervenu à Sydney lors d’une conférence sur l’avenir du droit d’auteur. Il y a plaidé pour la prise en compte des changements irréversibles induits par les nouvelles technologies, et de la philosophie nouvelle née d’Internet. « Nous n’avons pas d’autre choix ; soit le système du droit d’auteur s’adapte aux avantages découlant de l’évolution naturelle, soit il disparaît« , a-t-il expliqué.
Francis Gurry a ainsi rappelé que « l’histoire montre qu’il est impossible d’annuler les avantages technologiques et les changements qu’ils entraînent. Plutôt que d’y résister, nous devons nous résoudre à l’inévitabilité des changements technologiques et chercher à nous y adapter de façon intelligente« . « Le droit d’auteur devrait avoir pour vocation de promouvoir le dynamisme culturel et non de protéger ou de promouvoir des intérêts commerciaux particuliers« , a-t-il prévenu, dans un discours qui appelle à une remise en cause de la part des ayants droit et du monde politique.
Plaidant presque à demi-mots pour une licence globale, il estime qu’il faut une « infrastructure (mondiale) grâce à laquelle il serait aussi facile de concéder légalement sous licence des œuvres culturelles sur l’Internet que d’y obtenir illégalement ces œuvres« .
Francis Gurry va même jusqu’à demander aux ayants droit de prendre en compte les aspirations des internautes, qui s’expriment politiquement :
L’Internet a créé sa propre culture, qui a donné naissance à un parti politique, le Parti pirate, qui conteste les élections en prônant l’abolition ou une réforme radicale de la propriété intellectuelle en général et du droit d’auteur en particulier. La plateforme du Parti pirate proclame que ‘[l]e monopole d’exploitation commerciale d’une œuvre d’art par le détenteur des droits d’auteur devrait être limité à cinq ans après la publication. Une durée de protection du droit d’auteur de cinq ans à des fins commerciales est largement suffisante. Une utilisation non commerciale devrait être gratuite dès le premier jour’.
Il se peut que le Parti pirate en soit une expression extrême mais sur l’Internet le sentiment de réticence ou d’irrespect à l’égard de la propriété intellectuelle qu’il véhicule est monnaie courante (..)
Je pense qu’il faut modifier les comportements en reformulant la question que la majorité du public se pose ou entend à propos du droit d’auteur et de l’Internet. Les gens ne sont pas réceptifs lorsqu’on les traite de pirates. En effet, ainsi que nous l’avons constaté, certains en tirent même une certaine fierté. En revanche, je crois qu’ils seraient prêts à partager les responsabilités en matière de politique culturelle. Nous devons moins parler piratage et davantage de la menace pour la rentabilité financière de la culture du XXIe siècle parce que là est le n?ud du problème si nous n’adoptons pas une politique efficace et équilibrée en matière de droit d’auteur.
Selon M. Gurry, il faut simplifier le droit d’auteur, car sinon « nous risquons de perdre notre audience et le soutien du public si nous ne parvenons pas à mieux faire comprendre le système« .
« Monsieur Gurry arrive aux mêmes conclusions que celles qui ont amenés à la création du Parti Pirate, il y a de cela déjà six ans« , réagit Paul Da Silva, le président du Parti Pirate français. « Il continue de nous qualifier d’extrême, preuve s’il en est que la réflexion que nous menons depuis six années avec des artistes, des experts de pays du monde entier et qu’une large majorité des Internautes promeut pourrait l’aider« . Selon lui, c’est « plutôt contraint que ravi » que l’OMPI commence à « envisager une réforme du droit d’auteur et plus largement de la propriété intellectuelle ».
« Si vous avez besoin d’aide à propos de la propriété intellectuelle, les pirates sont prêts à vous expliquer à quel point elle est dépassée et même à vous donner des pistes de réflexions sur le droit d’auteur et les réformes à lui apporter pour qu’il s’adapte aux nouvelles technologies, plus si nouvelles que cela…« , lance-t-il au directeur de l’OMPI.
Rappelons que c’est justement pour contourner l’OMPI que l’accord ACTA prévoit la création d’une nouvelle organisation internationale, porteuse de la voie la plus stricte sur la protection des droits de propriété intellectuelle.
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