Le ministère de la Culture prévient que les sites Internet ne constituent pas des lieux ouverts au public. Une interprétation contestable qui lui permet d’éviter que s’applique aux sites internet la loi Toubon de 1994 sur l’obligation d’utiliser la langue française sur toute inscription destinée à l’information dans un lieu ouvert au public.

Un site internet que chacun peut visiter librement est-il un lieu ouvert au public ? Il s’agit d’une question juridique intéressante, qui n’a pas été tranchée par la jurisprudence, et dont la réponse peut entraîner des effets importants. Un certain nombre de règles de droit s’imposent en effet aux lieux ouverts au public, comme l’interdiction de fumer, l’encadrement de la vidéosurveillance, ou dans certains cas l’obligation de surveiller l’exposition au radon. La plupart du temps, ces obligations conçues pour l’espace physique ne peuvent pas être transposées à l’espace public numérique. Mais parfois, la question se pose.

Il en va ainsi par exemple de l’interdiction de « porter une tenue destinée à dissimuler son visage » sur l’espace public, depuis la loi du 11 octobre 2010 entrée en vigueur le 11 avril dernier. Le texte dit précisément que l’espace public est notamment constitué des « lieux ouverts au public », ce qui pose la question de l’interdiction de l’utilisation d’avatars ou de photos masquées sur Internet. Dans une circulaire de 1996, le gouvernement avait défini le lieu ouvert au public comme un lieu « accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions« .

Par ailleurs, la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française dispose que « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française« .

La question se pose donc de savoir si un site internet français doit obligatoirement être disponible en français. Dans une réponse à un député qui s’interrogeait sur le fait que « le site d’Arianespace est presque exclusivement en anglais alors que plus de 57 % du capital de cette entreprise est détenu par les entreprises françaises« , le ministère de la Culture a tranché. Pour lui, « s’il est vrai qu’un site Internet est accessible à quiconque possède un ordinateur et une connexion à Internet, il ne saurait cependant être considéré comme un lieu ouvert au public tel que l’entend le législateur, qui cite sur le même plan la voie publique et les transports en commun« . On reste dans l’univers du monde physique, qui ne s’étend pas au monde numérique.

« L’obligation d’employer le français édictée par l’article 3 ne s’impose qu’aux lieux qui sont physiquement localisés sur le territoire français« , par opposition aux lieux localisés dans le cyberespace. S’il a pour mission de défendre la francophonie, le ministère de la Culture est aussi conscient de l’effet hégémonique qu’aurait une interprétation contraire. « Considérer qu’un site Internet est un lieu ouvert au public ferait entrer dans le champ d’application (de la loi de 1994) tous les sites accessibles à l’internaute français, c’est-à-dire la totalité des sites existants sur Internet et disponibles dans une multitude de langues« , prévient-il.

Ainsi, « il n’existe pas d’obligation générale d’emploi du français pour les entreprises françaises lorsqu’elles mettent en place leur site Internet« .

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