En Pologne, cela fait un an que le gouvernement conservateur et eurosceptique a été remplacé par une coalition de partis de centre et de gauche. Au cœur de la campagne des législatives : l’accès à l’avortement. Seulement, un an plus tard, la loi n’a pas évolué et les femmes qui veulent avorter continuent de commander des pilules abortives sur les sites d’ONG qui les envoient depuis l’étranger.

Sur son téléphone, Agata*, 35 ans, actualise sa boite mail. Elle attend le retour d’une ONG basée à l’étranger. Dans quelques jours, elle devrait recevoir une pilule abortive par la poste. « Je ne peux pas avorter dans un hôpital en Pologne parce que je n’entre pas dans les critères, donc c’était la seule solution, nous explique-t-elle. Ce n’est pas une pilule récupérée sur le darknet ou je ne sais quoi, c’est une ONG étrangère qui fait ça et qui permet d’y avoir accès gratuitement. »

En Pologne, le droit à l’avortement est l’un des plus restrictifs d’Europe. Pour y avoir accès, il faut avoir été victime de viol (et pouvoir le prouver) ou être en danger de mort. Selon les chiffres officiels, il n’y aurait qu’une centaine d’avortements chaque année. Dont zéro pour viol. « C’est bien connu, il n’y a pas de viol en Pologne », lâche Justyna Wydrzyńska, militante pro-avortement du sein d’ l’ONG Abortion Dream Team

Pour que la qualification « viol » soit acceptée, la victime doit avoir porté plainte et pouvoir fournir la lettre d’un procureur pour prouver que sa plainte n’a pas été classée sans suite. Le délai légal d’intervention étant de douze semaines, aucune femme concernée n’arrive à y accéder.

Commander une pilule abortive en Pologne

Il est aussi possible d’avorter à l’aide d’une pilule abortive. Avoir des pilules abortives ou avorter seule chez soi n’est pas illégal. En revanche, toute aide apportée en dehors des deux motifs prévus par la loi est passible de trois ans de prison. En d’autres termes, si une ONG polonaise fournit une pilule abortive à une femme qui le lui demande, elle est passible de sanctions pénales. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Justyna Wydrzyńska.

Manifestation à Gdańsk, en Pologne, en 2020, contre les lois freinant l'accès à l'avortement. // Source : Wikimédias (LukaszKatlewa)
Manifestation à Gdańsk, en Pologne, en 2020, contre les lois freinant l’accès à l’avortement. // Source : Wikimédias (LukaszKatlewa)

Pour passer outre cette interdiction, ce sont donc des ONG basées à l’étranger qui envoient des pilules abortives aux personnes qui le demandent. « Pour ma part, j’ai contacté une fondation étrangère, nous détaille Joanna, la trentaine. C’est gratuit, mais comme je m’estime financièrement privilégiée, j’ai fait un don de 75 euros, pour que d’autres puissent en bénéficier. »

« Tout s’est bien passé. Mais alors que c’est légal, j’avais l’impression de faire quelque chose de mal. »

Après plusieurs échanges de mails, deux pilules abortives lui sont envoyées par la poste. « Quand je les ai reçues, j’étais chez moi et j’en ai pris une. Tout s’est bien passé. Mais alors que c’est légal, j’avais l’impression de faire quelque chose de mal. De devoir me cacher pour le faire et seule sans amie pour m’accompagner. Je me sentais comme une criminelle qui prenait un médicament commandé en ligne, alors que je ne faisais rien d’illégal. »

Aucune nouvelle loi attendue

L’an passé, les élections législatives ont permis au parti de l’opposition, Coalition civique (KO), de renverser le gouvernement au pouvoir depuis 2015, le PIS. Ce parti conservateur et eurosceptique a conservé la présidence. Du moins jusqu’en mai, date à laquelle l’élection présidentielle doit se tenir.

Alors, quand la coalition des partis de gauche a réussi à former un gouvernement, beaucoup de personne ont espéré que l’avortement serait plus accessible.

Seulement, après un échec à faire adopter une loi pour permettre l’avortement en cas de malformation du fœtus (ce qui était possible jusqu’en 2020), le Premier ministre Donald Tusk a annoncé en août dernier qu’aucune loi ne pourra réunir une majorité parlementaire avant les prochaines élections.

Financement participatif

Cette annonce a fait l’effet d’une trahison pour nombre de collectifs et d’ONG qui luttent depuis des décennies pour une meilleure prise en charge de la santé reproductive. C’est pourquoi Abortion Dream Team a lancé un financement participatif pour créer la première clinique tournée entièrement vers les avortements.

Une pancarte pendant une manifestation en soutien au droit à l'IVG, qui dit « l'avortement fait partie des soins de santé » // Source : Gayatri Malhotra / Unsplash
Une pancarte pendant une manifestation en soutien au droit à l’IVG, qui dit « l’avortement fait partie des soins de santé » // Source : Gayatri Malhotra / Unsplash

« Depuis de nombreuses années, nous faisons bien plus que l’État polonais pour élargir l’accès à l’avortement dans notre pays, écrivent-elles. [Douze] mois se sont écoulés depuis le changement de gouvernement, et il n’existe toujours pas d’avortement légal ni même de lignes directrices en matière d’avortement émanant du ministère de la Santé. C’est pourquoi nous n’attendrons pas le changement sans rien faire et nous ouvrons un lieu qui établira des normes et indiquera les bonnes pratiques en matière d’avortements. Ce lieu accompagnera le gouvernement pour qu’il introduise une loi appropriée et les médecins pour qu’ils apprennent à pratiquer des avortements chirurgicaux conformément aux Lignes directrices de l’OMS. » 

Leur organisme revendique 45 000 avortements par an, via les pilules abortives ou à l’étranger dans des hôpitaux partenaires en Allemagne, Autriche aux Pays-Bas ou en France pour les avortements médicaux, ajoute Natalia Broniarczyk, membre du collectif Abortion Dream Team.

« On le fait, et on continuera de le faire. Toujours avec le sourire parce que ce n’est pas horrible ou dramatique, un avortement. Ce qui l’est en revanche, c’est la difficulté d’accès qui conduit à des décès. »

*Le prénom a été changé.

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