Année après année, c’est la même ritournelle : des politiques se plaignent de l’anonymat en ligne qui pourtant n’existe pas. En 2024, c’était une tribune de 126 membres de l’ancienne majorité présidentielle au Parlement qui réclamait « la fin de l’anonymat total sur les réseaux sociaux ». En 2025, c’est Gérald Darmanin qui remet une pièce dans la machine.
Dans un entretien accordé le 12 février 2025 au Parisien, le garde des Sceaux et ministre de la Justice a ressorti les mêmes idées reçues qui sont régulièrement répétées d’un gouvernement à l’autre. « Internet doit cesser d’être une zone de non-droit », a ainsi lancé Gérald Darmanin. Pour cela, il faudrait en finir avec l’anonymat sur le net.
« Au ministère de la Justice, nous considérons que la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux est d’une importance capitale dans la lutte contre la pédocriminalité, le trafic de drogue, le cyberharcèlement », a développé le ministre, en poste depuis la fin décembre, après plus de quatre ans passés au ministère de l’Intérieur.
![Gérald Darmanin Gérald Darmanin](https://c0.lestechnophiles.com/www.numerama.com/wp-content/uploads/2019/06/gerald-darmanin-1024x656.jpg?resize=1024,656&key=f5738aac)
Une position qui tranche avec celle d’Éric Dupond-Moretti, qui l’a précédé au ministère. Lors de l’affaire Nahel, en 2023, l’intéressé avait au contraire bien insisté sur l’absence d’anonymat en ligne : « Qu’ils ne pensent pas que l’on peut se servir de Snapchat en se planquant et qu’ils sont en toute liberté dans la possibilité d’écrire ce qu’ils veulent. »
De toute évidence, Gérald Darmanin n’a pas la même lecture, malgré une législation qui octroie une palette de moyens pour récupérer des données techniques permettant de retrouver un internaute — y compris si celui-ci se sert d’un VPN ou d’outils pointus en matière de vie privée. L’affaire Proton, il y a quelques années, en est la preuve.
« Pourquoi les réseaux sociaux seraient le seul endroit où l’expression ne serait pas conforme aux règles de la République ? On sait qu’une grande partie de la délinquance et de la criminalité est aujourd’hui numérisée », a-t-il malgré tout relevé. Dès lors, il a appelé à reprendre une idée du député Paul Midy, l’un des signataires de la tribune de 2024.
Vers une identité numérique généralisée partout ?
La piste du parlementaire repose l’identité numérique et sa généralisation. Il s’agirait de la déployer pour 80 % de la population en 2027, puis 100 % en 2030. Un amendement en ce sens a été adopté en 2023 lors de l’examen de la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, promulguée en mai 2024.
« Reprenons la proposition du député Paul Midy déposée il y a quelques mois, pour que chaque citoyen français ait une identité numérique propre, qui permette aux enquêteurs de remonter à l’auteur de l’infraction », a plaidé le garde des Sceaux, tout en promettant que son ministère va se pencher sur la question dans les semaines à venir.
Le député avait aussi déposé d’autres amendements, finalement retirés, qui visaient à imposer une procédure de certification pour toute création de nouveau compte sur un réseau social. Une procédure dont la création aurait été confiée aux plateformes et qui aurait impliqué plusieurs jalons à passer, notamment en 2025, 2027 et 2029.
La sortie de Gérald Darmanin a d’ores et déjà créé un relatif trouble au sein du camp présidentiel, à l’image du commentaire laconique sur le réseau social X (ex-Twitter) d’un autre élu, bon connaisseur des sujets liés au numérique. Eric Bothorel a exprimé sa « fatigue » à l’égard de ce énième retour du débat sur l’anonymat en ligne.
![Source : boystov Source : boystov](https://c0.lestechnophiles.com/www.numerama.com/wp-content/uploads/2024/11/anonyme-cache-masque-1024x576.jpg?resize=1024,576&key=b497fa7e)
Une mauvaise réponse à un vrai problème
L’actualité récente a montré que l’anonymat, justement, n’existe pas. Dans le cadre de l’affaire du cyberharcèlement subi depuis des années par la streameuse Ultia, quatre hommes ont été identifiés et trois d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison ferme ou avec sursis, signe qu’il est possible de retracer l’identité des internautes.
Pourtant, même avec une levée de l’anonymat, comme le réclament les élus de temps à autre, rien ne dit que les choses iraient forcément mieux. C’est ce qu’avait dit Cédric O, alors en charge du numérique au sein de l’exécutif, à l’occasion d’un débat sur le problème de la haine en ligne, dans le cadre de l’examen de la loi sur les principes républicains.
« L’anonymat n’est pas au cœur du problème. […] Si tout le monde était sous son vrai nom, on ne saurait de toute façon pas gérer la viralité et la massification des contenus », avait-il argué. Cela ne signifie pas que tout est perdu d’avance, ou qu’il n’y a rien à faire, mais que les véritables efforts à faire se trouvent peut-être ailleurs.
Le nerf de la guerre, en la matière, reste surtout les moyens accordés aux forces de l’ordre et aux tribunaux pour travailler sur ces problématiques. La France souffre d’un sous-investissement chronique dans la justice — même si depuis quelques années, des efforts ont été consentis pour déployer des crédits et des effectifs supplémentaires.
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