Le Conseil National du Numérique a rendu un avis extrêmement critique contre le projet de décret d’application de l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui vise à généraliser le blocage et le filtrage de contenus sans recours à l’autorité judiciaire. Mais le gouvernement, qui peut s’en dispenser, tiendra-t-il compte de cet avis ?

La semaine dernière, le Conseil National du Numérique (CNN) était saisi par le gouvernement d’un projet de décret d’application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui permettrait de généraliser le filtrage sans juge en France, pour un très grand nombre d’infractions ou de menaces. Sans grande surprise, l’avis de 14 pages rendu par le CNN fustige ce décret d’application de l’article 18 de la LCEN, à grand renforts d’arguments et de démonstrations de l’inanité du texte. Ils concluent que « le projet de décret doit faire l’objet de nombreuses modifications afin notamment de faire concilier la nécessaire lutte contre la cybercriminalité avec le principe constitutionnel de la liberté d’expression » et qu’un tel texte doit faire l’objet d’un « vaste débat public, ce qui n’a pas été le cas« .

Le Conseil rappelle notamment le principe de subsidiarité qui veut que les fournisseurs d’accès à internet ne soient sollicités qu’en dernier recours, lorsqu’un contenu n’a pas pu être supprimé autrement. « Le CNN considère que le rôle premier des intermédiaires de l’internet n’est ni de contrôler le contenu, ni d’empêcher sa propagation mais bien de s’assurer de sa diffusion conformément au principe constitutionnel de la liberté d’expression et de communication. En conséquence, toute mesure de contrôle de nature technique demandée aux intermédiaires de l’internet, urgence ou non, ne peut intervenir qu’à défaut d’action de l’auteur dudit contenu« , écrit le Conseil.

De même, il estime que le texte est trop vaste, puisque « la rédaction actuelle du projet de décret laisse entendre que l’administration devra simplement notifier à l’hébergeur un contenu, de manière générique, laissant ainsi entendre que pour éviter toute sanction, l’hébergeur devra s’assurer que ce contenu ne puisse jamais réapparaître« . Or, invoque le CNN, « une telle interprétation imposerait à l’hébergeur de mettre une politique de surveillance générale de ses contenus ce que tant la Directive que l’article 6.I.7 LCEN interdisent« .

Plus généralement, il relève que « toute mesure de blocage imposée aux fournisseurs d’accès à l’internet ne [peut] intervenir que sous l’appréciation et le contrôle préalable du juge« , et selon une procédure « instituée que par voie législative« , et non réglementaire.

Avec un tel avis, on voit mal comment le gouvernement pourrait publier ce décret attendu depuis 2007. Il en a cependant le droit, puisque l’avis du Conseil National du Numérique (CNN) n’est que consultatif, et non impératif. La saisine aura en tout cas donné l’occasion au CNN d’affirmer son indépendance à l’égard de l’exécutif, comme n’a pas manqué de le faire remarquer dès ce matin Giuseppe de Martino, le Directeur juridique de Dailymotion, vice-président de l’Asic (Association des services internet communautaires), et vice-président de la Commission d’accès du CNN. L’indépendance, dans l’absolu, est toutefois très relative. Il aurait été extrêmement étonnant que le CNN rende un autre avis que celui-ci, avec une commission composée exclusivement d’industriels du numérique directement concernés par le décret. Ce qui posera question sur des textes plus subtils.

Si tout de même le gouvernement décidait de publier ce décret, ou une version amoindrie, le combat judiciaire ne fera que commencer. L’article 18 de la LCEN, sur lequel se base le décret, n’avait pas été examiné par le Conseil constitutionnel. Il pourra donc faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité lorsqu’il en sera fait usage…

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