Deux ans après annoncé l’ouverture d’une enquête sur les avantages fiscaux obtenus par Apple en Irlande, la Commission européenne a annoncé mardi une décision de redressement fiscal d’une ampleur historique. Selon les prévisions extrêmement larges réalisées par le cabinet JP Morgan et citées par le Financial Times, l’autorité bruxelloise pouvait demander le paiement d’une somme comprise entre un milliard et… 19 milliards de dollars, soit environ 17 milliards d’euros.
Finalement, selon l’AFP, c’est 13 milliards de dollars qui sont réclamés. L’Irlande qui a accordé des aides illégales à Apple, doit récupérer cette somme. L’Irlande a déjà annoncé qu’elle faisait appel de cette décision.
La procédure avait été engagée après les révélations dans le New York Times, en 2012, des pratiques d’optimisation fiscale à outrance opérées par Apple pour échapper à l’impôt. Deux autres enquêtes avaient été ouvertes au même moment à l’encontre de Starbucks et Fiat, avec des décisions de sanction qui font actuellement l’objet d’un appel.
Qu’est-ce qui est reproché à l’Irlande ?
Il est reproché à l’Irlande d’avoir laissé la firme de Cupertino bénéficier de façon disproportionnée de « décisions anticipatives en matière fiscale » (rendues célèbres depuis par les Luxleaks), des procédures par lesquelles Apple négociait directement avec le fisc irlandais les modalités de calcul de son impôt sur les bénéfices. Le mécanisme avait perduré de 1991 à 2007.
En principe, l’imposition du bénéfice des entreprises a lieu dans le pays où la valeur est officiellement créée, et non dans le pays où les produits sont effectivement vendus. Mais le système mis en place par Apple avec la complicité de l’Irlande reposait sur un jeu de transfert de valeur entre deux filiales, Apple Operations International (fiscalement domiciliée aux Iles Vierges britanniques) qui gère la propriété intellectuelle du groupe, et Apple Sales International qui gère les ventes hors-USA (fiscalement basée en Irlande). Pour minimiser au maximum l’impôt reversé en Irlande, la première filiale surfacturait la propriété intellectuelle utilisée par la seconde, de façon à ce que l’essentiel des bénéfices parte vers les Iles Vierges, où l’imposition est nulle.
Le montage validé par les autorités fiscales irlandaises permettait à Apple de payer environ 2 % d’impôts sur les bénéfices hors des États-Unis, ce qui est beaucoup moins que les 12,5 % en principe imposés en Irlande.
Or aux yeux de la Commission européenne, une telle « décision anticipative en matière fiscale » peut constituer une aide illégale accordée à une entreprise par l’État, lorsqu’elle n’est pas conforme aux standards du marché. Apple est donc condamné à rembourser cette « aide », dont le montant a été estimé à 13 milliards d’euros.
Apple reçoit le soutien des États-Unis
Pour sa défense, Apple avait rappelé fort logiquement qu’il n’a pas fraudé la loi fiscale, mais qu’il a simplement bénéficié du schéma proposé par l’Irlande. « Il est important que tout le monde comprenne que l’allégation faite par l’Union européenne est que l’Irlande nous a accordé un traitement spécial. L’Irlande nie ça », a rappelé Tim Cook dans une interview au Washington Post.« La structure que nous avons est applicable à tout le monde — ce n’est pas quelque chose qui a été fait uniquement pour Apple. C’était leur loi ».
Cook assure que le problème n’est pas tant de savoir combien payer d’impôts que de savoir à qui le payer, ce qui en ferait un problème de relations internationales. C’est ce que précise également l’UE dans sa notice, qui évoque une possible baisse du redressement annoncé si Apple décide de payer des impôts dans d’autres pays — voire aux États-Unis.
Sur ce point, Apple a reçu le soutien des États-Unis, qui ont tout intérêt à défendre leurs champions. La semaine dernière, le Département du Trésor des USA a publié un livre blanc (.pdf) qui menaçait la Commission européen de rétorsions si elle venait à infliger un redressement fiscal historique à Apple. Il dit « continuer à réfléchir aux réponses potentielles » qu’il pourrait adresser, et qu’un « résultat fortement préférable et mutuellement bénéfique serait de revenir vers le système et la pratique des coopérations fiscales internationales ».
L’administration reproche à la Commission de chercher à devenir un organe « supranational » dans la résolution des conflits fiscaux, et de viser spécifiquement les entreprises américaines.
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