L’UMP organise ce mardi au Palais Brongniart à Paris sa « convention numérique », dans laquelle le parti majoritaire présentera la série de 45 propositions réunies dans un document (ci-dessous) appelé : « Révolution numérique : le meilleur reste à venir » (.pdf). Un titre proche de celui du rapport parlementaire bipartisan dont nous révélions jeudi dernier les 54 propositions.
De manière très amusante, le projet UMP commence dès sa première page par citer la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009, c’est-à-dire la censure du premier projet de loi Hadopi, qui fait de l’accès à Internet un droit fondamental. C’est pourtant bien l’UMP qui l’avait voté, à marche forcée.
« Nous voulons mettre le numérique au coeur de la campagne présidentielle de 2012, non pas en tant que thème isolé ou cloisonné, mais en le considérant de façon transversale et s’appliquant à tous les aspects de notre société« , explique l’UMP. « Gisement de croissance, d’emplois et d’innovation, le numérique est un enjeu économique, bien sûr. Mais c’est aussi et surtout une question de société qui nous pousse à redessiner ensemble notre vision de l’avenir« . Le parti reprend ainsi la ligne dessinée par Benjamin Lancar, lorsque le président des Jeunes UMP (également secrétaire national en charge de l’économie numérique) nous avait affirmé que « la défiance d’Internet à l’UMP, c’est du passé« . Le chapitre sur le « vivre ensemble à l’ère numérique », en pages 7 et 8, se veut ainsi être une véritable ode à Internet, allant jusqu’à vanter la révolution Facebook que l’ancienne ministre Alliot-Marie avait proposé d’aider à mater.
Le parti de Nicolas Sarkozy, qui doit faire un effort surhumain pour faire oublier sa politique de détestation d’Internet, dresse son bilan (page 14) : 4,5 milliards d’euros de provisionnés pour les usages et réseaux numériques, diverses mesures réglementaires et fiscales liées à l’économie numérique, création du Conseil National du Numérique, forum e-G8, lancement de l’open-data national avec Etalab, Assises du numérique, mesures éducatives, loi relative à la lutte contre la fracture numérique, création d’un délit d’usurpation d’identité dans le cadre de la loi Loppsi, aggravation des peines en matière de contrefaçon sur Internet, mise en place d’une identité numérique (IDNum), développement de l’administration électronique, passage à la TNT, et enfin lutte contre les usages illicites avec la loi Hadopi. Cette dernière y est décrite comme « une action équilibrée« .
Pour 2012, l’UMP définit ainsi quatre grands axes de propositions :
- Un internet neutre partout et pour tous : il s’agit ici de défendre la neutralité du net comme « un objectif politique« , avec une « capacité d’imposer des obligations » par la voie réglementaire. Mais il n’est pas envisagé de loi à la néerlandaise. C’est par ailleurs un plan de déploiement du très haut débit sur 100 % du territoire d’ici 2025.
- Une politique qui mise sur la responsabilité des acteurs : libérale, l’UMP estime que « la loi ne doit pas tout régler dans le détail« , mais qu’il faut « responsabiliser chaque acteur du net« , dans un esprit d’autorégulation. Comme une antithèse des lois Hadopi et Loppsi, l’UMP écrit que « la lutte contre les dérives (…) ne légitime pas tout« . Le parti majoritaire souhaite ainsi faire intervenir le juge pour toute mesure de blocage ou de filtrage, ce qu’il n’a pourtant pas appliqué pour la loi Loppsi. L’UMP plaide désormais pour une procédure unique de filtrage, encadrée judiciairement, « sauf circonstances exceptionnelles ». Lesquelles demanderont à être définies clairement.
En page 12, l’UMP dit vouloir encourager l’autorégulation qui « n’est possible que dans le cadre de relations équilibrées et transparentes entre tous les acteurs« , expliquant ainsi la naissance du Conseil National du Numérique. Mais c’est oublier que celui-ci ne représente que les industriels, et absolument pas les internautes qui sont pourtant les premiers « acteurs du numérique ». - Une formation renforcée afin de lutter contre l’illéttrisme numérique : derrière la formation aux usages, l’UMP plaide aussi pour une formation de la société « à ses risques ». « Nous pensons que ces formations doivent systématiquement comporter une approche éthique, économique et technique de l’univers du numérique« , écrit l’UMP, dans une philosophie à rapprocher du label PUR (« Promotion des Usages Responsables ») de l’Hadopi. A l’école, l’UMP propose de créer « une matière qui dispenserait un enseignement spécifique à internet et au numérique« . Rappelons que des cours sont déjà dispensés, notamment pour inculquer la protection des droits d’auteur.
- Faire de la France un leader mondial dans l’économie numérique : il s’agit principalement d’investissements prévus dans le cadre du Grand Emprunt, avec 4,5 milliards d’euros destinés aux « investissements pour l’avenir ». L’UMP plaide aussi pour la création d’un « Small Business Act Numérique », qui favoriserait le développement des start-up, en imitant le cadre réglementaire américain.
Le détail des 45 propositions figure aux pages 19 et suivantes du document :
- Créer un site internet, financé, géré et animé par l’ensemble des Chambres de commerce afin d’informer et d’orienter juridiquement les TPE, PME et créateurs d’entreprise ;
- En accord avec l’Union européenne, réserver une partie des achats publics en matière de haute technologie, de recherche et de développement et d’études technologiques aux PME ;
- Créer un statut de jeune entreprise innovante spécialement réservé aux PME
du secteur numérique ; - Encourager le développement de pôles de compétences du Web, par la création de nouvelles filières universitaires, mais aussi dans les écoles et grandes écoles, et d’incubateurs dédiés aux entreprises de l’Internet ;
- Faire du déploiement du très haut débit un grand projet national d’infrastructures, avec un pilotage national ;
- Créer une formation professionnelle post-bac, dédiée au déploiement de la fibre optique ;
- Prévoir une bonification des subventions aux collectivités territoriales ;
- Mettre en œuvre en fonction des besoins locaux, l’ensemble des solutions technologiques existantes (couverture par satellite ou par radio terrestre tel que la téléphonie de quatrième génération) pour couvrir le territoire en haut et très haut débit dans l’attente de l’arrivée de la fibre optique
- Généraliser dans tous les établissements l’usage du manuel numérique ;
- Numériser une sélection de livres, en concertation avec les maisons d’édition, pour constituer une bibliothèque numérique de grands classiques de la littérature, libres de droit ;
- Généraliser dans 100% des établissements scolaires, les tableaux blancs interactifs associés à un ordinateur et à un logiciel de création de séquences pédagogiques multimédias ;
- Réadapter le brevet informatique et internet (B2I) et le Certificat informatique et internet (C2I) en développant une approche éthique, économique et technique de l’univers du numérique.
- Créer une matière spécifiquement dédiée à internet et au numérique, au collège et au lycée, comprenant les différentes dimensions du numérique : éthique, économique et technique ;
- Uniformiser la mise en ligne des cours pour les enseignant ;
- Former les enseignants à l’usage des technologies du numérique dans leur cursus et de façon continue ;
- Nommer dans chaque établissement du second degré, un référent sur l’usage des nouvelles technologies ;
- Développer un Espace Numérique de Travail (ENT) spécifique pour le premier degré aux fonctions adaptées aux jeunes enfants : accessible dès le CP, l’ENT comprend le cahier de textes, et de liaison, pour la relation école-familles ;
- Rendre obligatoire, dès la rentrée 2012, pour chaque établissement scolaire la mise en place d’un ENT, pour les collèges et les lycées et faire de même avec les universités ;
- Encourager le développement d’espaces numériques publics (EPN) en développant une formation au numérique en ligne ;
- Créer le dispositif » Tablette tactile à 1euro par jour « pour les étudiants et les personnes âgées ;
- définir le principe de neutralité (extrait du rapport sur la neutralité de l’internet et des réseaux) ;
- Faire de la neutralité un objectif politique et donner au pouvoir réglementaire la capacité d’imposer des obligations pour la promouvoir ;
- Etablir dès à présent une procédure unique [de filtrage/blocage] faisant intervenir le juge ;
- Mettre en place un observatoire de la qualité de l’Internet ;
- Charger l’ARCEP de garantir l’accès à un Internet de qualité suffisante ;
- Encourager l’équipement numérique dans les maisons de retraite et les accueils de jour afin que les personnes âgées puissent communiquer avec leurs proches ;
- Améliorer la qualité de vie des personnes âgées maintenues à domicile dans le cadre de la lutte contre la dépendance ;
- Créer grâce à un partenariat public/privé et par le développement d’un portail, une communauté virtuelle destinée aux personnes âgées qui viserait à lutter contre l’isolement, à renforcer leur autonomie et améliorer leur qualité de vie ;
- Créer un serveur d’état afin de garantir la protection et le contrôle de l’Etat sur l’ensemble des données exploitées (dans le cadre de l’e-administration) ;
- Harmoniser les services administratifs en ligne en regroupant les sites internet, en suivant les orientations du rapport de Franck Riester » Amélioration de la relation numérique à l’usager » (février 2010) ;
- Développer et démocratiser la vie étudiante et syndicale grâce au vote en ligne ;
- Obliger les administrations à recourir à des formats de fichiers ouverts et interopérables qui permettent une exploitation documentaire des données qui y sont contenues ;
- Rendre plus effectif le droit d’accès aux données publiques en précisant les dispositions légales en vigueur (article 17 de la loi du 17 juillet 1978) afin que tous les organismes publics concernés recensent et rendent accessible et réutilisable en ligne l’ensemble de leurs données publiques communicables ;
- Garantir que l’ouverture des données publiques ne remettra pas en cause le principe de la protection des données personnelles ;
- Adopter une loi donnant un cadre juridique fixe et clair au télétravail de manière plus précise que l’Accord National Interprofessionnel sur le télétravail de 2005 (notamment concernant les problèmes d’accidents de travail, de charge de travail, de contrat d’externalisation, etc.) ;
- Définir un plan national de déploiement du télétravail et des télécentres (espaces aménagés, dédiés au télétravail) ;
- Faciliter, encourager et encadrer la mise en place du télétravail dans les PME via des actions de sensibilisation et d’accompagnement au niveau des Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi et via la création d’un portail Internet ;
- Mettre en place le télétravail dans la fonction publique, en encourageant la publication d’un décret en Conseil d’Etat étendant le statut du télétravail dans le privé à la fonction publique et en s’appuyant sur les expériences de télétravail déjà réalisées au niveau étatique comme à Bercy, ou au niveau territorial comme dans le département du Puy de Dôme ;
- Créer une grande loi de la télésanté ;
- Mettre en place pour les centres hospitaliers la télésurveillance des patients à domicile ;
- Développer le dossier médical personnalisé (DMP) ;
- Harmoniser les conditions générales des sites internet, notamment concernant l’utilisation des données personnelles ;
- Créer une CNIL européenne (proposition issue du groupe de travail » Ethique du numérique « ) ;
- Une démarche de labellisation des entreprises respectueuses de la vie privée (proposition issue du groupe de travail » Ethique du numérique « ) ;
- Favoriser un engagement plus grand des services en ligne (proposition issue du groupe de travail » Ethique du numérique « ) ;
Si ce programme-ci avait été appliqué entre 2007 et 2012, sans doute l’UMP aurait-elle marqué des points en vue des prochaines élections présidentielle et législatives. Le parti au pouvoir dit vouloir « consolider la confiance dans le numérique« . Mais le plus dur pour restera de « retrouver la confiance du numérique dans l’UMP« . Il est à cet égard notable qu’aucune des 45 propositions ne concerne explicitement la protection des droits de propriété intellectuelle, devenu un sujet tabou à l’UMP. L’objectif n’a pas disparu, mais il est désormais sous-entendu par la volonté de favoriser l’autorégulation, pour un règlement entre-soi plutôt qu’une intervention étatique.
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