Après 420 000 mails envoyés pour première infraction constatée, 3500 courriers recommandés pour seconde infraction dans les 6 mois, 10 abonnés à Internet ont été convoqués par l’Hadopi pour venir s’expliquer devant les magistrats de la Commission de protection des droits (CPD). Ils doivent dire pourquoi selon eux leur adresse IP a été relevée au moins trois fois depuis les premiers avertissements adressés il y a moins d’un an par l’Hadopi. Si leurs explications ne convainquent pas, leur dossier pourra être transmis au parquet, qui décidera de l’opportunité des poursuites. Les peines encourues sont alors de 1500 euros d’amende, ou un mois de suspension de l’accès à Internet.
Le mois dernier, l’Hadopi avait ainsi reçu les Parquets de Paris pour « expliquer aux magistrats qui auront à connaître des procédures de négligence caractérisée, la mise en œuvre concrète de la loi et en particulier de la procédure de réponse graduée« . L’objectif implicite était de les convaincre de poursuivre, même si les éléments juridiques qui permettent la condamnation semblent encore très faibles.
Si poursuites il y a, ce sera en effet sur le fondement de la contravention de négligence caractérisée, qui condamne le défaut de sécurisation de l’accès à Internet. Le décret du 25 juin 2010 qui définit l’infraction dit qu’il y a négligence caractérisée lorsque l’abonné n’a pas mis en place un moyen de sécurisation de son accès, ou qu’il a « manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen« . Or c’est là la première difficulté pour les parquets.
Contrefaçon ne vaut pas nécessairement négligence
En matière pénale, le respect de la présomption d’innocence impose de prouver l’infraction, donc de démontrer précisément qu’il n’y a pas eu de sécurisation de l’accès à Internet. Cependant, rien dans les éléments matériels transmis au parquet par l’Hadopi ne peut démontrer qu’il n’y a pas eu de sécurisation par l’abonné, sauf à ce qu’à l’occasion de sa convocation, l’abonné ait lui-même confessé sa négligence. Ce qui fait ressembler la convocation à un traquenard, même si ça n’est pas l’objectif initial.
Les PV d’infractions que récolte l’Hadopi avant d’envoyer ses avertissements (et qu’elle refuse de transmettre à l’abonné) prouvent qu’il y a eu contrefaçon de droits d’auteur, par la mise à disposition d’une œuvre sur un réseau P2P. Mais ils ne prouvent pas qu’il y a eu absence ou manque de diligence dans la sécurisation. Le piratage a pu avoir lieu en dépit des précautions réelles prises par l’abonné. Au mieux les PV de l’Hadopi permettent d’établir une présomption, mais ils ne font pas office de preuve.
A ce sujet, une circulaire du ministère de la Justice expliquait toutefois en septembre 2010 que les PV des ayants droit « font foi jusqu’à preuve contraire« , et que les parquets seraient bien inspirés « d’éviter, sauf cas particulier, qu’une seconde enquête soit diligentée« . Instruction est donc donnée aux magistrats de ne pas se poser de questions.
Bien sûr, on doute que dans un procès contradictoire les PV pour contrefaçon puissent être acceptés comme preuve de la négligence, sans que la défense ne démontre l’absurdité voire l’illégalité d’un tel raisonnement. Il est en effet très difficile, voire impossible, d’apporter a posteriori la preuve d’une sécurisation au moment des faits reprochés. Or si les présomptions établies par les PV transmis par l’Hadopi deviennent irréfragables, faute de pouvoir matériellement apporter de preuve contraire, le principe de la présomption d’innocence est violé.
Mais tout le problème, cependant, est que la loi Hadopi a prévu une procédure expéditive, d’ordonnance pénale, qui ne donne à l’abonné aucun moyen de se défendre, sauf à faire appel après réception de la contravention. Ainsi le gouvernement limite les risques, au nom de la rapidité et de l’efficacité de la justice.
Peut-on avoir négligé de réaliser l’impossible ?
Par ailleurs, le décret précise qu’il n’est possible de condamner un abonné pour négligence caractérisée que si et seulement si « le titulaire de l’accès s’est vu recommander par la commission de protection des droits de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de prévenir le renouvellement d’une utilisation de celui-ci à des fins de (piratage)« . Or ces moyens de sécurisation n’existent pas, puisqu’aucun aujourd’hui n’est réputé permettre la prévention du piratage. Ce ne sera le cas, peut-être, qu’après labellisation par l’Hadopi, conformément à l’article L331-26 du CPI. Certes, l’Hadopi estime que les recommandations de mise en œuvre des moyens de sécurisation ne sont pas liées à la labellisation, mais c’est au pire une interprétation erronée de la loi, au mieux une trahison de l’esprit du texte voté par le législateur.
Là encore, l’avocat de la défense pourrait argumenter avec de réelles chances de succès que l’envoi des mails était constitutif d’un abus de pouvoir (puisqu’ils devaient s’accompagner d’une recommandation sur les moyens de sécurisation), ou que la négligence caractérisée ne peut être observée tant qu’aucun moyen de sécurisation n’est labellisé. Mais encore faut-il qu’il puisse avoir l’opportunité de présenter ses arguments.
Espérons, donc, qu’en cas de transmission aux parquets et de condamnations, des abonnés choisissent de contester et de demander un véritable procès contradictoire.
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