La semaine dernière, le directeur général de la SCPP (Société Civile des Producteurs de Phonogrammes) Marc Guez jetait la pierre à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), en lui reprochant en substance son manque d’efficacité. Le patron du lobby des grandes maisons de disques, qui espérait voir l’Hadopi devenir une machine à transmettre les dossiers aux tribunaux, estimait que beaucoup trop peu d’internautes avaient été convoqués par la Commission de protection des droits (CPD). Il ajoutait, surtout, que la SCPP travaillait elle-même à l’élaboration de logiciels de filtrage, capable d’identifier et de bloquer 30 000 chansons, avant-même que l’Hadopi ne livre la version finale des spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation.
L’Hadopi a très mal pris cette double attaque, qu’elle a perçue comme une véritable déclaration de guerre. Voire comme un doigt d’honneur sèchement adressé à l’administration publique, comme nous l’a confié une source proche du dossier. Elle voit dans la sortie de la SCPP l’expression d’une envie de se passer des services de la Haute Autorité et d’imposer ses propres solutions, y compris les plus redoutables, en tournant le dos à l’autorité administrative justement créée par le législateur pour faire tampon entre les lobbys culturels et les utilisateurs d’internet.
La réplique est venue ce mercredi matin. Elle est cinglante.
Dans un communiqué, l’Hadopi rappelle que l’équilibre qu’elle cherche à trouver entre protection des droits et valorisation de l’offre légale « est, seul, de nature à répondre aux intérêts et aux attentes des parties en présence, créateurs, ceux qui les représentent, et utilisateurs dans le respect des droits et des valeurs constitutionnellement garantis« . Toute initiative isolée serait vouée à l’échec, et vouée à remettre de l’huile sur un feu qui peine à s’éteindre.
L’Hadopi remet donc la SCPP à sa place, en invitant « les métiers de la création à se concentrer sur la partie qui leur incombe, à savoir le développement encore plus rapide d’offres légales complètes, financièrement raisonnables, et répondant aux attentes des utilisateurs« .
Concernant les logiciels de filtrage promis par le lobby du disque, l’Hadopi estime qu’elle « doit être tenue informée des expérimentations en cours » (ce qui n’a rien d’obligatoire dans la loi), et prévient que « la conception et le déploiement de technologies de filtrage sont des questions hautement complexes et sensibles de nature à atteindre la neutralité, la sécurité des réseaux ou encore la protection de la vie privée« . Elle rappelle qu’elle « travaille sur ces questions depuis plusieurs mois« , et n’apprécie pas du tout que la SCPP vienne la court-circuiter de cette manière.
Coup de grâce : « l’Hadopi ne pourrait que déconseiller aux utilisateurs de recourir à des solutions de reconnaissance des contenus et de filtrage réalisées en dehors du cadre légal« . En clair, l’Hadopi invite les abonnés à Internet à rejeter toute solution de sécurisation qui ne serait pas labellisée.
Selon nos informations, l’Hadopi voit dans les déclarations de Marc Guez une première démarche vers la fourniture d’une solution de filtrage par DPI (Deep Packet Inspection), que la direction de la Haute Autorité perçoit comme la ligne rouge à ne surtout pas franchir. Le cahier des charges final des moyens de sécurisation devrait être très clair sur le fait que les solutions de filtrage doivent être sous le contrôle absolu de l’utilisateur. Or pour la SCPP, un contrôle par l’utilisateur équivaudrait à donner la clé de la geôle au prisonnier.
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