Faut-il affaiblir la protection conférée par les messageries chiffrées, comme Signal ou WhatsApp, au nom de la lutte contre le trafic de drogue ? Telle est la question qui se pose actuellement à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi contre le narcotrafic, avec une disposition très décriée qui vient de revenir dans les débats.
Des députés ont en effet déposé des amendements identiques ces jours-ci afin de forcer la réintroduction d’un article de loi pourtant supprimé lors de l’examen du texte devant les membres de la commission des lois. C’est cet article, le 8 ter, dont la rédaction fait craindre un affaiblissement de la protection conférée par le chiffrement de bout en bout.
C’est le cas de Olivier Marleix (Les Républicains) avec l’amendement n°640 déposé le 14 mars, de son collège Mathieu Lefèvre (Renaissance), qui a soumis exactement le même texte (amendement n°655) et de Paul Midy (aussi membre de Renaissance), avec une rédaction pratiquement inchangée (amendement n°846).
Ce tir groupé était attendu. Depuis le revers du gouvernement au sujet de cet article 8 ter, le ministre de l’Intérieur apparaissait déterminé à revenir à la charge, comme l’indiquait Contexte mi-mars. La mesure avait pourtant été rejetée par la commission des lois, et largement, avec un consensus net de toutes les forces politiques (quasi unanimité).
Offensive dans les médias en faveur de l’article


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Au Parisien, Bruno Retailleau avait exprimé le 15 mars son souhait de voir son retour, expliquant que « sans cet outil, il nous manquera un instrument essentiel ». « Quand la loi est faible, il faut changer la loi », ajoutait-il, en soulignant sa mission de protection des Français « contre des organisations à la pointe des technologies. »
Il faisait également remarquer « qu’il ne s’agit pas de mettre en place une surveillance généralisée, mais de définir avec tous les opérateurs [de ces messageries grand public] les moyens qui permettront aux services de renseignement d’empêcher des règlements de comptes, des trafics d’êtres humains et des attentats. »
À l’unisson du ministre de l’Intérieur, une offensive médiatique s’est jouée ces derniers jours pour défendre cet article de loi — signe de la volonté de l’exécutif de ne pas lâcher l’affaire sur la problématique du chiffrement vu comme une entrave au bon déroulement des enquêtes de polices à la collecte de preuves.

Ainsi, Louis Laugier, le directeur général de la Police nationale, a plaidé pour « avoir accès à certaines clés de déchiffrement, dans le respect des libertés individuelles » dans les colonnes du Figaro le 16 mars, tandis qu’aux Échos, la patronne de la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure), Céline Berthon, a aussi pris position en sa faveur.
Le devenir de cet article 8 ter dans la proposition de loi contre le narcotrafic apparaît aujourd’hui incertain, malgré une riposte politique et médiatique pour justifier son rétablissement. L’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale a débuté le lundi 17 mars et doit s’achever le vendredi 21 mars.
Des parlementaires proches du camp présidentiel, comme Philippe Latombe et Éric Bothorel, ont rappelé leur hostilité au 8 ter. D’autres ont également pris la parole, à l’image de Guillaume Poupard, qui connait bien ces sujets. Il a été pendant plus de huit ans le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).
Dans une publication sur LinkedIn le 17 mars, il a souligné les raisons pour lesquelles le retour du 8 ter « pose toujours de graves problèmes » et que « l’introduction de backdoors, aussi perfectionnées soit-elles, est à la fois irréaliste, dangereux et inefficace ». Cela, même si Bruno Retailleau argue qu’il ne s’agit pas vraiment d’une backdoor (mais c’est tout comme).
Une contre-offensive à laquelle s’est joint Gilles Babinet, le coprésident du Conseil national du numérique. « Défendre ce principe de backdoor ne démontre rien d’autre qu’une inculture des principes de base du code. Le consensus des experts à ce sujet est d’une unanimité rare ». Désormais, la suite est entre les mains des députés.
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