Jeudi soir, les très rares députés (11 sur 577) de l’Assemblée nationale présents en séance ont donc adopté en première lecture la proposition de loi « relative à la protection de l’identité ». Déjà validée par le Sénat le 31 mai dernier, le texte a pour ambition de mettre un coup d’arrêt à l’usurpation et à la falsification d’identité en déployant une nouvelle carte nationale d’identité contenant de nouveaux éléments d’identification.
Deux puces électroniques
Pour cela, le gouvernement et la majorité présidentielle veulent intégrer deux puces électroniques dans la future carte nationale d’identité. La première, baptisée puce régalienne, devra contenir « les données d’identité et les données biométriques du titulaire de la carte, authentifiées grâce à leur enregistrement sur une base centrale » a expliqué le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, en préambule du débat.
Cette puce régalienne contiendra les données suivantes :
- Le nom de famille, le ou les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance du demandeur ;
- Le nom dont l’usage est autorisé par la loi, si l’intéressé en a fait la demande ;
- Son domicile ;
- Sa taille et la couleur de ses yeux ;
- Ses empreintes digitales ;
- Sa photographie.
L’autre puce électronique, facultative, sera destinée aux services en ligne. Elle permettra des signatures électroniques sur Internet, avec une administration ou une entreprise privée par exemple. Cela concerne en particulier les transactions commerciales, les échanges bancaires ou encore les démarches administratives.
« La carte nationale d’identité électronique, ce sont donc deux composants, pour une identité mieux protégée et une vie simplifiée » a alors expliqué Claude Guéant, ajoutant que le premier objectif de cette loi est « d’assurer, dans le respect des libertés individuelles, la protection de l’identité de nos concitoyens« , en entravant l’usurpation ou la falsification d’identité grâce à « une double sécurité« .
Une base unique et centralisée
Pour que le dispositif fonctionne et permettre aux données d’être authentifiées, une base Titres Électroniques Sécurisés (TES) sera mise en œuvre, à l’image de ce qui se fait déjà pour les passeports biométriques. Unique et centralisée, cette base TES sera chargée de « recenser, confronter et vérifier les informations« , comme les doublons qui seront « immédiatement et précisément repérés« , a assuré le ministre.
« C‘est une garantie contre les falsifications de titres, puisqu’il sera possible de vérifier la concordance des données inscrites sur le titre avec celles enregistrées sur la base, contre la délivrance de plusieurs cartes différentes à une même personne et contre l’usurpation d’identité, puisque les vérifications opérées rendront impossible l’enregistrement de la demande du fraudeur » a-t-il poursuivi.
Estimant que « sans fichier central, nous ne trouverons pas les usurpateurs« , Claude Guéant a affirmé que ce texte « inscrit notre pays dans une modernité positive« . Claude Guéant s’est employé à donner des gages de sécurité. « La conservation des données à caractère personnel est segmentée, état civil d’un côté, photographies d’identité de l’autre, empreintes digitales dans un troisième compartiment« .
Données conservées quinze ans… ou ad vitam ?
À côté de la répartition des données personnelles dans différents compartiments, le ministre est revenu sur la durée de conservation de ces informations par la base Titres Électroniques Sécurisés. Claude Guéant a assuré que les données personnelles étaient effacées au bout de quinze ans et, qu’en attendant, celles-ci étaient systématiquement chiffrées et que le maximum serait fait pour empêcher les intrusions illicites.
Des propos qui n’ont pas convaincu l’opposition, puisque la députée socialiste Sandrine Mazetier a remarqué que la durée évoquée par le ministre « ne figure d’ailleurs pas dans la proposition de loi« . Un « oubli » qui fait dire à son collègue Serge Blisko que la durée de conservation des données contenues dans ce fichier central et unique sera « en quelque sorte éternelle« .
La députée PS a d’ailleurs mis en avant le cas des individus qui se feraient pirater leur identité. « Pendant quinze ans au moins, ceux dont l’identité aura été usurpée par quelqu’un qui aura déposé ses propres empreintes avant eux vivront un véritable enfer« . Pour Sandrine Mazetier, l’objectif de ce texte de loi vise tout simplement à « créer un fichier généralisé de la population française« .
Fichage de 45 à 50 millions de Français
Car le fichier a une portée globale. Tout français pourra se retrouver dans ce fichier unique, qu’il soit criminel, délinquant ou innocent. Un fichage général inacceptable de la population, entre 45 à 50 millions de personnes, au regard de l’objectif poursuivi, a déclaré Serge Blisko, rappelant que l’usurpation d’identité ne touche que quelques dizaines de milliers de Français par an.
« Seuls n’y figureraient pas les mineurs jusqu’à douze ou quinze ans, du moins ceux qui n’ont pas besoin d’un titre pour voyager ou pour utiliser un scooter » a poursuivi le député, qui interpelle le ministre de l’intérieur : « avoir toute la population en fiches biométriques n’est pas possible« . « Il s’agit donc d’un changement complet de logiciel idéologique » a-t-il encore ajouté.
Cette base sera accessible aux agents de l’Agence nationale des titres sécurisés, chargés de mettre en œuvre la base TES, aux agents chargés de l’instruction des demandes de délivrance des titres aux ministères de l’intérieur et des affaires étrangères et aux agents de services de sécurité chargés de la lutte antiterroriste. La consultation de la base dans le cadre d’enquêtes judiciaires sera également possible.
Une procédure parlementaire « étrange »
Au cours des discussions parlementaires, le Parti socialiste a soulevé l’incongruité de la stratégie parlementaire adoptée par la majorité présidentielle pour faire avancer cette proposition de loi. Le député Serge Blisko s’interroge ainsi sur le choix d’une proposition de loi (issue du parlement) plutôt que d’un projet de loi (issu du gouvernement). Pour le parlementaire, c’est une manière de contourner certaines contraintes.
« En effet, il n’y a de la sorte de recueil de l’avis du Conseil d’État, pourtant indispensable en ces matières, ni obligation de fournir une étude d’impact. Vous pensez bien que la création d’un fichier qui, à terme, regroupera plusieurs dizaines de millions de personnes, ne peut pas se passer d’un avis préalable du Conseil d’État et d’une étude d’impact » a-t-il ajouté.
Une analyse partagée par Delphine Batho. « La protection de l’identité aurait dû faire l’objet d’un projet de loi, car il s’agit d’un sujet régalien par excellence, donc d’une prérogative du gouvernement« . Or ici, cela permet d’éviter le contrôle préalable de la CNIL, d’autant que le texte a été « adopté à la va-vite, au cours d’une session extraordinaire, des dans délais insuffisants tant pour les travaux en commission que pour la séance publique« .
Dans la mesure où les versions adoptées par le Sénat et l’Assemblée nationale comportent quelques différences, une Commission mixte paritaire va être mise en place afin d’aboutir à une version unique de la proposition de loi.
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