En début d’année, nous avions commenté la publication d’un rapport d’évaluation du Sénat sur l’application de la loi de 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon. Les auteurs, les sénateurs Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (PS), y plaidaient encore et toujours pour un renforcement des sanctions dans les affaires de contrefaçon, à travers notamment des mesures d’organisation judiciaire. Les deux parlementaires souhaitaient en particulier que les juges qui traitent d’affaires de droit d’auteur soient spécialisés, car les magistrats généralistes ont « tendance à relativiser l’importance d’une contrefaçon au regard d’autres délits dont ils ont à connaître tels que les agressions sexuelles, les homicides involontaires, les coups et blessures« .
Pour matérialiser ses préconisations, Laurent Béteille a déposé en mai dernier une proposition de loi, transmise à la commission des lois pour être amendée avant son examen dans l’hémicycle. C’est son complice Richard Yung qui a rédigé le rapport de la commission, qui vient de paraître. On y découvre que la commission a validé l’essentiel de la proposition de loi, à l’exception des articles qui renforcent la spécialisation judiciaire, le gouvernement préférant user de circulaires. Mais elle a aussi rajouté un article qui, sous couvert d’harmonisation des délais de prescription dans le droit français, fragilise les droits des artistes.
C’est un petit paragraphe noyé au milieu du rapport de 222 pages (.pdf) qui nous explique l’objet de ce nouvel article 39A :
Cet article a pour effet de réduire l’un des délais de prescription du code de la propriété intellectuelle : en effet, les actions en paiement des droits perçus par les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur se prescrivent actuellement par 10 ans à compter de la date de leur perception. Cette réduction de moitié du délai de prescription ne suscite aucune opposition de la part des titulaires de droits concernés ; elle est même approuvée sans réserve par la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musiques).
Actuellement, donc, les auteurs aux noms desquels les sociétés de gestion collectent les droits peuvent se voir réclamer le paiement des droits pendant 10 ans après leur mise en répartition, au titre de l’article L321-1 du Code de la propriété intellectuelle. Si cet article était adopté par le parlement, les artistes n’auraient plus que 5 ans pour réclamer leur dû. Après ce délai, les sommes non distribuées tombent définitivement dans la case des sommes dites « irrépartissables », qui alimentent le fonds d’actions culturelles, dont la gestion est régulièrement critiquée. On comprend, dès lors, que la Sacem ait « approuvé sans réserve ».
Bien qu’il soit important sur le plan symbolique (en pratique les droits sont rarement réclamés après un délai de 3 ans où ils passent dans des « irrépartissables » en sursis), l’article n’a fait l’objet d’aucun débat ni explication détaillée en commission. « L’amendement n° 44 aligne tous les délais de prescription du code de la propriété intellectuelle sur le délai de droit commun de cinq ans« , a simplement résumé Richard Yung. « Ce qui raccourcit certains délais et en allonge d’autres« , a complété Jean-Jacques Hyest, le président de la commission des lois.
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