Des sites qui se mettent en place et qui tentent de facturer des actes gratuits, il en existe depuis longtemps sur le web. Dernièrement, il y en a un qui a acheté un lien sponsorisé sur Google pour se placer devant le site officiel. Et de proposer une pré-démarche, facturée 39 euros, pour un acte qui est gratuit avec l’administration.

C’est une évolution administrative bienvenue. Depuis peu, les Françaises et les Français toujours en possession de l’ancienne version de la carte nationale d’identité ont le droit de demander son renouvellement vers la nouvelle pour un motif bien précis : celui de « l’identité numérique ». Celle-ci requiert en effet la carte nationale d’identité électronique (CNIe).

Cette démarche, gratuite, vient donc s’ajouter aux autres raisons déjà acceptées par l’administration pour la CNIe : première demande, perte, vol, expiration, rectification, détérioration ou modification d’état civil. Une fois en main, la carte nationale d’identité électronique peut être mise sur le téléphone, dans une déclinaison dématérialisée (pour l’identité numérique).

Mais ce renouvellement n’est gratuit qu’à la condition de passer uniquement par le site officiel de l’administration française (service-public.fr). Or, gare aux sites web qui peuvent s’afficher en haut des résultats d’un moteur de recherche comme Google, lorsque vous tapez par exemple la requête « renouvellement carte d’identité ». Il peut y avoir des propositions indésirables.

Source : Ministère de l'Intérieur
La nouvelle carte nationale d’identité. // Source : Ministère de l’Intérieur

Une pré-demande de CNI en ligne, pour 39 euros

C’est ce que Numerama a pu constater dans une recherche récente avec ces mots-clés. Tout en haut de la première page de résultat sur Google, on voit un site web appelé cni-fra.fr qui permettrait de faire une « pré-demande de CNI en ligne », afin de « renouveler sa carte d’identité », via le motif de son choix. le site apparaît même au-dessus du site officiel.

Cette première position dans le moteur de recherche serait-elle le signe de la fiabilité de cni-fra.fr ? Un œil attentif remarquera qu’à côté du nom de ce site figure la mention « sponsorisé » : cette position dans le moteur de recherche est en fait le fruit d’une action commerciale visant à positionner ledit site sur des requêtes spécifiques, afin d’attirer du trafic.

Dans le jargon, on appelle cela du Search Engine Advertizing, c’est-à-dire de la publicité sur les moteurs de recherche. Le but ici est d’augmenter sa visibilité sur Google, en achetant des places privilégiées dans les résultats. Le principe n’est pas illicite en soi et on peut le combiner avec des techniques classiques d’optimisation pour le positionnement.

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Le lien sponsorisé en haut, le site officiel en bas. // Capture d’écran

« Possibilité d’effectuer vos démarches sans frais sur service-public.fr »

En visitant cni-fra.fr, on constate tout l’intérêt de ce positionner aussi haut sur une requête qui, forcément, va intéresser des millions de Françaises et de Français : le site propose en effet de payer 39 euros TTC pour une pré-demande de CNI pour un majeur (ou 29 euros pour un mineur), alors même que la démarche officielle est gratuite.

Pour des raisons juridiques, le site le précise évidemment, mais en bas de page, et discrètement, avec une petite taille de police d’écriture.

Il est ainsi affirmé que « le site et les services sont fournis à titre privé uniquement, et ne correspondent en aucune manière possible à une mission de service public qui lui aurait été déléguée par une quelconque administration publique ou collectivité territoriale. Possibilité d’effectuer vos démarches sans frais sur service-public.fr ».

Une mention similaire est visible en haut du site, mais tout aussi discrète. On relève aussi une page sur la politique en matière des données personnelles, dans laquelle il est assuré qu’elles « sont strictement confidentielles et ne pourront être revendues à des tiers ». Le site a aussi prévu un mécanisme de remboursement, si la demande est effectuée dans les deux semaines.

Outre le fait que la démarche fait inutilement payer une pré-demande qui ne coûte rien avec l’administration, le passage par cette plateforme privée a pour effet de lui confie, ne serait-ce que momentanément, ses données personnelles. En effet, le site fournit un formulaire qu’il faut remplir, et donc renseigner en détail son état civil.

Pas le premier site à tenter de vendre des prestations ciblant des actes gratuits

La nature de ce site, et sans doute d’autres du même acabit, rappelle l’enquête de Numerama qui avait exposé un phénomène similaire avec la demande de l’ESTA, un document qu’il faut absolument renseigner avant de pouvoir entrer sur le territoire américain. À l’époque, les sites repérés faisaient facturer jusqu’à 80 euros une démarche qui en coûte en réalité 12.

D’autres exemples existent de sites web qui tentent de s’intercaler entre les internautes et des services gratuits pou peu coûteux, afin de vendre une prestation artificielle. On l’a vu par exemple avec une tentative d’arnaque aux encombrants à Paris ou bien lorsque des démarches liées au permis ou à la carte grise pouvaient se faire en ligne.

Capture d'écran de la phase de paiement sur le site france-esta.fr
Un exemple de site surfacturant la demandde l’ESTA. // Source : capture d’écran

Des sites qui prospèrent grâce à plusieurs insuffisances

Ces plateformes savent de toute évidence exploiter un contexte qui leur est favorable pour exister. Le site cni-fra.fr, qui existe depuis le 6 juin 2024, profite ainsi des interstices laissés par Google pour s’y engouffrer dans le haut de ses pages, et venir concurrencer des résultats officiels et légaux, pour y placarder une prestation discutable.

Ces espaces peuvent aussi certainement compter sur l’inattention ou la faible compétence informatique d’une partie des internautes. L’illectronisme est une fragilité répandue en France, et critique à l’heure où le numérique s’insinue partout. C’est aussi de cette faiblesse dont se nourrissent le phishing et les escroqueries en général.

Plus insidieux, mais qui participe aussi à ce contexte : la stratégie pas toujours très efficace du gouvernement dans la manière de se projeter sur Internet. L’administration a en effet la tendance à utiliser tout à la fois des noms de domaine fondés sur l’extension réservée à l’État (.gouv.fr), mais aussi sur l’extension française (.fr), ouverte à tous.

2023 a eu droit à son lot de cyberattaque contre les services publics. // Source : Numerama
Une partie de la faute revient à l’Etat, dont les sites utilisent aussi des extensions réservées (.gouv.fr) et des extensions générales (.fr), ce qui n’aide pas à la clarté des choses. // Source : Numerama

Au bout du compte, outre les problèmes que cela pose dans la gestion du parc des sites web (il faut penser à payer et renouveler les adresses en .fr, sinon ils ne sont plus utilisables), cela met aussi sur un même plan des sites privés et des sites du service public, ce qui nourrit la confusion pour le grand public.

Ainsi, il aurait été sans doute préférable d’entrée de jeu que le site service-public.fr s’appelle directement service-public.gouv.fr, pour mieux souligner sa différence avec les adresses plus communes. Heureusement, les choses en la matière changent, et l’extension .gouv.fr pour les sites de l’État a, selon une circulaire, un caractère « obligatoire ». Mais le mal est déjà fait en partie.

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