Le porno est aussi raciste que les fantasmes de ses consommateurs. La règle est rude, mais se vérifie par une exploration sommaire des sites leaders de l’industrie. Néanmoins, l’équilibre existant entre demande et offre n’explique pas tous les scandales racistes connus par l’industrie qui est à des années lumières des progrès douloureusement acquis à Hollywood depuis une petite trentaine d’années. Et le porno gay est loin d’échapper à ce cynisme qui traverse l’industrie.
Ainsi, en août, le studio Diggs était sous le feu des critiques après qu’une de ses stars ouvertement suprémaciste avait plus que franchi la ligne rouge. Les réseaux sociaux, quasiment l’unique relai des militants pour faire reconnaître ses fautes à un microcosme aveugle de ses déboires, avaient réussi à forcer le studio à prendre des sanctions à l’encontre de sa célébrité. Mais l’affaire était rapidement expédiée, et l’industrie reprenait paisiblement son cours, sans se soucier à aucun moment des conséquences de ses choix en matière de visibilité pour les personnes de couleur. En somme, l’affaire avait sanctionné un acteur et non le système qui le produit.
Et l’on pourrait argumenter qu’en fin de comptes, le racisme du porno ne concerne que ceux qui acceptent de financer ce système et qu’ils sont responsable des contenus qu’ils consomment dès lors que ceux-ci sont à la demande et jamais diffusés en-dehors des sites dédiés. Mais cette idée selon laquelle le porno est un cinéma sans conséquence et sans responsabilité a historiquement été invalidée, notamment par les scandales liés au bareback. Lorsque le porno refuse le préservatif et continue, comme si le SIDA ne tuait pas, de représenter des pratiques dangereuses et meurtrières, c’est l’intégralité des spectateurs qui subissent les conséquences d’une négation culturelle des risques.
Or, le racisme du porno tel qu’il est accepté se retrouve dans la culture des gays lorsqu’il s’agit de sexe, les articles et les dénonciations du racisme éhonté des LGBT sur les applications de rencontres (Grindr par exemple) ne suffisent pas à sensibiliser les jeunes qui rentrent dans un milieu dans lequel être caucasien est une norme, un canon esthétique nécessairement supérieur. Ceux qui ne connaissent pas le vocable de Grindr ne sauront voir le racisme que rapportent des blogs comme racistgrindr, et pourtant comme l’ont démontré des chercheurs australiens, le racisme sexuel est un racisme.
Le racisme sexuel est un racisme
Exclure volontairement les personnes de couleur de ses préférences sexuelles, ce n’est pas qu’une préférence amoureuse, c’est la perpétuation de l’idéal esthétique et raciste selon lequel le blanc caucasien est hiérarchiquement à la tête de la pyramide des ethnies en matière sexuelle. Une idéologie intériorisée, que la plupart des gens concernés refusent de voir comme étant du racisme mais qui pourtant, laisse comprendre que coucher avec un noir, c’est strictement moins bien qu’avec un blanc.
Sans parler des fantasmes colonialistes qui naviguent dans l’imaginaire sexuel occidental et qui, s’il en fallait une, apportent la preuve que l’inconscient de l’homme blanc est hanté par des représentations racistes qui devraient être aujourd’hui activement combattues.
Dans un univers où le racisme ne dit pas son nom, et est pourtant prégnant et brutal, l’industrie du porno a de fait une responsabilité à rendre visible les minorités et représenter une sexualité gay débarrassée de ses discriminations. Autant le dire rapidement, nous sommes loin du compte. Mens.com est un acteur majeur du porno gay depuis l’émergence d’Internet, et est une référence à la fois financière et culturelle pour le X LGBT à travers le monde. Et comme de nombreux studios, Mens.com a sa petite tradition de subversion de la culture pop en détournant des films et des concepts en œuvres pornographiques.
https://www.youtube.com/watch?v=k0vRLjWP5Yw
Une des dernières réalisation de Mens est sortie du cadre restreint des sites pour adultes, et a fait parler la presse généraliste puisque le studio a produit une version pornographique de Sense8, la série à succès des Wachowski sur Netflix. Un show admirable pour son humanisme, ses valeurs transcendantes et une certaine idée très assumée de la diversité, qu’elle soit ethnique, sociale, culturelle et sexuelle. Et l’air de rien, Mens.com et le réalisateur Alter Sin, ont remplacé chaque rôle de la série par des hommes blancs, exclusivement. Alors que la série comptait des latinos, des caucasiens, une asiatique, une indienne et un africain.
C’est en somme un whitewashing dans les règles de l’art.
https://www.youtube.com/watch?v=sE9XpfJYyMY
Le réalisateur explique au Huffington Post : « Lorsque j’ai vu l’orgie dans Sense8, je savais que la scène puisait dans un fantasme primaire. Nous souhaitions donc créer une expérience dans laquelle des hommes gays pouvaient imaginer ce que l’on pouvait ressentir en étant à la place d’autres hommes, et en ressentant les sensations de sept autres gars simultanément. » Car dans Sense8: A Gay XXX Parody, on ne parle pas seulement d’inspiration mais bien d’une parodie, avec uniquement des hommes, moins de pudeur mais surtout, que des hommes blancs cisgenres.
Une décision pour laquelle ni le réalisateur, ni Mens.com n’offrent d’explications alors que c’est pourtant la principale différence avec la série originale. En somme, le message que donne ce film est plus ou moins le suivant : « Sense8, c’est une chouette idée de baise, mais lorsqu’on s’adresse au public du porno gay, les blancs sont plus beaux et plus adaptés au fantasme. »
Comment, de fait, s’étonner ensuite que la communauté LGBT perpétue, pas toujours consciemment, une discrimination physique ? Une certaine vision de la différence, néfaste, plongeant ses racines dans une situation que peu de LGBT voudraient revivre, ne serait-ce que parce qu’ils l’ont souvent, malheureusement, déjà vécue.
Et encore une fois, en-dehors du fait de ne pas consommer ce type de contenu, les gays conscients de ce phénomène n’ont que peu de recours pour parler d’une discrimination nécessairement invisible. Néanmoins, comme Hollywood quand il représente mal les LGBT, pour chaque représentation qui prétend avoir un rapport direct avec son audience et sa vie — peut-on faire plus direct que le porno ? –, représenter, c’est choisir. Ne pas montrer, c’est cacher.
Et derrière chacun des fantasmes sexuels, il y a selon la pure tradition freudienne, quelque chose de notre société et de notre vision du monde. Espérons que ce porno finira par sonner son propre glas à force de s’enfoncer dans ses propres contradictions et sa vision restrictive de la sexualité.
Représenter, c’est choisir
En attendant, il faut encore écrire et expliquer aux plus jeunes que le monde n’est pas un film porno et que dans la vraie vie, on est certes moins musclé, on bande moins mais la différence existe sans qu’elle requiert de nous d’imposer quelconque hiérarchie.
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