Si vous retournez scroller sur Facebook, vous tomberez peut-être sur des « boomer traps » générés par IA, des photos de mariage de lointains camarades de lycée… mais aussi des groupes qui mettent en relation petits-enfants et grand-parents « de cœur ».

« Bonsoir, maman célibataire, j’ai eu ma fille seule, elle n’a pas de papa ni de papi et mamie. Je recherche des grands-parents de cœur, ma fille a 11 ans, elle n’a pas eu la chance d’en avoir et ça lui manque énormément. »

Quand les liens du sang ne suffisent plus, les liens du cœur se cachent sur Internet. Dans ce groupe Facebook privé, cela fait un peu plus de dix ans que l’on s’échange ce genre de messages, sortes de bouteilles à la mer numériques. Ce sont les parents qui sont les plus actifs : ils précisent leur demande, leur localisation, et présentent leurs enfants, joignant parfois une photo. Les grands-parents répondent en commentaire, tandis que les plus audacieux d’entre eux se signalent directement dans des publications. Le but : trouver ses « grands-parents de cœur » ou « petits-enfants de cœur ».

Recherche amour intergénérationnel et inconditionnel

« Pour les Pitchounes DE FRANCE ET D AILLEURS qui n’ont plus de grand parents POUR LES PARENTS QUI DESIRENT QUE LEURS PITCHOUNES AIENT UN GRAND PERE OU GRAND MERE DE COEUR . Faites vous connaitre pour avoir ou pour être grands parents de cœur », affiche la description du groupe. Créé le 1ᵉʳ mars 2015, il réunit aujourd’hui plus de 800 membres.

Parmi eux, il y a de tout. Du côté des parents en demande, on trouve des familles monoparentales en galère : « Je suis maman de 4 enfants, 3 grands et une petite de 3 ans. Je me retrouve seule à les élever sans famille, j’aimerais trouver des grands-parents de cœur. » Des papis et mamies partis trop tôt : « […] ma fille va avoir 3 ans. Nous avons perdu Mamy il y a peu. Je recherche une grand-mère de cœur qui pourra l’aimer autant que sa Mamy l’aimait », écrit cette internaute. Des relations brouillées : « je suis en rupture avec ma mère depuis plusieurs années ». Des contraintes géographiques : « Il leur reste uniquement une mamie qui est loin, à 1000 kms… »

Source : Inès Durand pour Numerama ; création réalisée en utilisant ChatGPT
Source : Inès Durand pour Numerama ; création réalisée en utilisant ChatGPT

Du côté des grands-parents volontaires, les posts se font plus rares et restent pudiques. Parfois, on poste en anonyme, par peur de se faire reconnaître par ses propres enfants sur le groupe. Certains d’entre eux, de jeunes retraités, manifestent le besoin d’échanger ou d’occuper leurs journées : « Je suis jeune retraitée, beaucoup à partager et à donner, de l’attention, de la tendresse. » D’autres n’ont personne à choyer dans leur propre famille : « Je n’aurai jamais la chance d’avoir des petits-enfants, mes enfants n’en voulant pas. Pour moi c’est un manque énorme » ; ou bien souffrent de la rupture de contact avec leurs propres enfants.

Numerama a interrogé Edwige, l’une des administratrices. C’est justement en partant à la recherche de petits-enfants de cœur sur Internet qu’elle tombe sur ce groupe Facebook en 2023, et en devient rapidement une des administratrices. À l’époque, il est presque à l’arrêt : elle décide donc de créer un système d’album dans lequel elle ajourne un récapitulatif des demandes des deux côtés, parents et grands-parents, triées par département. Elle se charge également de valider l’arrivée des membres dans le groupe et de modérer les publications. Une activité qui l’occupe au quotidien : « Certains jours sont plus chargés que d’autres […] Après, je me dis, si ça peut apporter du bonheur de part et d’autre, pourquoi pas. »

« On voit si ça matche ou pas »

Edwige explique se contenter de mettre en relation les deux parties. À elles ensuite de se contacter, la plupart du temps sur Messenger puis au téléphone, et enfin de se rencontrer physiquement pour voir « si ça matche ou pas. […] Il faut que ça passe dans les deux sens, c’est une interaction. » Certains s’enthousiasment du succès de leur démarche sur le groupe : « Grâce à vous nous avons une petite fille de 8 ans ! », se réjouit une grand-mère de cœur.

Elle, c’est Stéphanie. 61 ans, assistante d’élèves en situation de handicap, elle ne voit plus ses petits-enfants suite à une « querelle familiale », nous écrit-elle. C’est là qu’elle découvre le groupe Facebook. Après une première tentative infructueuse, elle retente sa chance en postant une annonce et est immédiatement contactée.

Elle rencontre d’abord la maman de Lucie*, puis voit Lucie pour la première fois autour d’un café et de jeux de société. « À l’issue de l’après-midi, Lucie m’a dit ‘Je veux bien que tu sois ma grand-mère’, se rappelle Stéphanie. J’étais ravie. » Cela fait désormais 5 mois que la petite fille voit régulièrement sa mamie et son papi de cœur pour déjeuner, jouer à des jeux de société, fêter Noël, le jour de l’An, aller au cinéma… « Et lundi, chasse aux œufs dans le jardin », se réjouit Stéphanie.

Mais, tout ne se passe pas tout le temps comme prévu. « Il n’y a pas de contrat qui nous unit, […] tout est basé sur la confiance », explique Edwige. Alors il arrive que, dans certains cas, les parents coupent subitement les ponts avec les grands-parents de cœur. Une « rupture » qui risque de raviver la blessure d’un premier abandon familial, s’attriste l’administratrice.

D’autres expriment leur lassitude face à l’absence de réponse : « Je me retire du groupe aucun contact décevant. » L’éloignement géographique ou l’âge avancé des enfants peuvent jouer en leur défaveur. « Les grands-parents de cœur souhaitent que des enfants en bas âge…, déplore une utilisatrice. Moi j’ai deux ados 13 et 17…ça n’intéresse personne… pourtant ils demandent d’être ‘adoptés’ par des grand-parents et ont beaucoup d’amour à donner et beaucoup de bons moments à partager !!! »

Des belles histoires, mais aussi des risques

Mais, la plus grande menace avec ce genre de système, ce sont les « profils douteux », souffle Edwige. Elle le sait : une affaire d’agression sexuelle dans un autre groupe Facebook avait conduit ce dernier à la fermeture. Il faut dire que le système du groupe, basé sur la confiance, encourage les parents à publier des photos de leurs enfants, mineurs et visages non floutés pour la quasi-totalité, et visibles par tous les membres de la communauté.

Alors, ils sont plusieurs administrateurs à inspecter scrupuleusement le profil de chaque nouveau membre avec les moyens du bord. Photo de profil ou non, ancienneté sur la plateforme, appartenance à d’autres groupes… « On n’a pas accès à un casier judiciaire comme les associations pourraient avoir, explique-t-elle. Pour nous, c’est un peu une forme de bénévolat. »

Et pour beaucoup, ce bénévolat représente un véritable échappatoire à la solitude. En 2021, 530 000 Français et Françaises de plus de 60 ans étaient en état de « mort sociale », selon les Petits Frères des Pauvres. Si les plus connectés d’entre eux réussissent à se constituer une famille « de cœur » sur des groupes Facebook ou des associations comme Manou Partages, ils sont tout de même 20 % à ne jamais utiliser Internet. Une raison de plus pour passer un petit coup de fil à mamie, si vous avez encore la chance d’en avoir une, adoptive ou non.

*prénom modifié

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