Ce vendredi 11 avril, c’était jour de conseil au Conseil de Paris. Plusieurs conseillers étaient réunis pour décider des propositions. Parmi elles : le réseau de chaleur de la ville. Rien de surprenant, mais c’est là que Paul Hatte, conseiller du 17e arrondissement de l’Union Capitale, a fait une proposition intrigante.
« Mettre à Paris les datacenters sous le sol et récupérer leur chaleur pour chauffer les bâtiments municipaux », a-t-il déclaré. Une proposition intéressante sur le papier, mais est-elle réalisable ?
Des bunkers sous Paris pour accueillir les datacenters de la mairie ?
Où les mettre tout d’abord ? Le conseiller de Paris dit avoir la solution : « dans les 250 bunkers qui sont aujourd’hui désaffectés, qui ne sont plus exploitables sous l’humain et qui se trouvent encore sous les bâtiments administratifs de Paris. »
L’avantage des bunkers, c’est qu’ils sont situés dans le sol et profitent donc déjà de températures plus basses que s’ils étaient construits à la surface. Interrogé par Numerama, Paul Hatte explique qu’il n’existe aucune cartographie des bunkers aujourd’hui : on ignore où est-ce qu’ils sont et combien il y en a dans les sous-sols de la capitale. Une première étape serait donc de les cartographier.
Mais le camp de la majorité semble ne pas vouloir de la proposition du conseiller. Jérôme Gleizes, côté écologistes, a dézingué la proposition de son adversaire politique au Conseil : « je pense que monsieur Hatte ne connaît ni les lois de la thermodynamique ni l’effet rebond ». Selon lui, cela produirait « un énorme réchauffement de la ville de Paris », ce qui demanderait beaucoup trop d’énergie pour refroidir les datacenters en été.

Interrogé là-dessus, Paul Hatte nous répond que la chaleur pourrait être réutilisée pour produire de l’électricité lorsqu’il n’y a pas de besoins en chauffage (mais que cela produirait davantage de pertes d’énergie que le chauffage). Le vice-président du groupe Écologiste de Paris argue qu’il y a déjà une expérimentation à Paris, mais que « généraliser ça serait une catastrophe écologique ».

L’adjoint à la Maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie Dan Lert aussi s’est montré critique. Selon lui, « Paris accueille déjà une vingtaine de datacenters, qui peuvent générer un certain nombre de nuisances » : bruit, consommation électrique, impact sur les réseaux électriques. Il met en avant le plan climat de la ville, qui « prévoit de réduire de 50 % les consommations d’énergie du territoire d’ici 2050 ».
Un objectif qui ne parait pas incompatible avec la proposition de Hatte : l’électricité servant à faire tourner un datacenter n’est pas perdue et la chaleur créée, elle, est utilisée. En d’autres termes, l’énergie est utilisée deux fois, par le datacenter et par le chauffage.
Les datacenters à Paris qui réutilisent déjà leur chaleur
La fameuse idée de Paul Hatte n’est pas nouvelle. Depuis 2019, la mairie de Paris dispose de son propre datacenter, situé porte de la Chapelle dans le 18e arrondissement, « pensé de façon durable et responsable. » Comme l’indique la ville, son énergie est réexploitée « au sein d’une boucle d’eau chaude qui alimente le quartier. »
Il y a également une pompe à chaleur qui permet de chauffer les immeubles du quartier ainsi que des serres d’agricultures présentes sur le toit du datacenter. Autre projet : la piscine de la Butte aux Cailles, qui est chauffée depuis longtemps grâce à des serveurs situés dans le sous-sol. Le système a été mis en place en 2017 et existe toujours — il permet de couvrir 10 à 20 % des besoins énergétiques de la piscine.

Le secteur privé aussi s’y intéresse : la même année, Iliad (l’entreprise qui possède Free) a récupéré un abri anti-atomique dans le quinzième arrondissement de Paris pour y ouvrir un datacenter. Les 150 habitants de l’immeuble profitent d’un chauffage à bas prix : ils ont économisé 500 euros de charges par an et par foyer.
Les datacenters dégagent de la chaleur qu’on peut récupérer pour chauffer des bâtiments
Après tout, un datacenter, c’est une grande salle avec plein d’ordinateurs qui tournent en continu. Cela dégage tellement de chaleur qu’il faut les refroidir, le plus souvent avec de l’air, parfois avec de l’eau en circuit fermé (grâce à des systèmes de watercooling). La chaleur créée, c’est de l’énergie qu’on a produite (grâce à de l’électricité), mais qu’on n’utilise pas : on appelle ça de la chaleur fatale. Elle est même très importante, puisqu’on estime généralement que 1 W d’électricité génère 1 W de chaleur.
C’est cette chaleur fatale que certains datacenters réutilisent pour chauffer des bâtiments. C’est le cas d’Infomaniak, un hébergeur suisse, qui réutilise cette chaleur pour chauffer 6 000 logements.
Dans le cas d’Infomaniak, les flux d’air chauds sont amenés dans une pompe à chaleur qui réchauffe le retour froid du réseau de chauffage à distance. Cette pompe à chaleur récupère même ce retour froid pour refroidir un peu les serveurs. Quand c’est l’été, la chaleur produite par le datacenter est répartie à plus d’habitants ou stockée.
D’autres hébergeurs pourraient être intéressés par une telle proposition. À partir du 11 octobre 2025, les datacenters d’une puissance de plus de 1 MW (construits ou rénovés) devront réutiliser la chaleur fatale qu’ils produisent, sauf impossibilité technique ou économique (selon la directive européenne 2023/1791). Pouvoir louer des datacenters dans les bunkers de la ville pourrait les intéresser. D’autant plus qu’à Paris, le manque de foncier est grand et cela éviterait aux hébergeurs d’acquérir des immeubles.
La Ville de Paris ne veut pas de datacenters dans ses sous-sols
Interrogée par Numerama, la Ville de Paris « ne considère pas l’installation de datacenters dans ses sous-terrains comme sérieuse pour le moment. » Selon elle, les sols sont déjà suffisamment concentrés : alimentation électrique, risques naturels, qualité des télécommunications… autant d’obstacles qui empêchent l’installation de serveurs dans ces bunkers, selon la mairie. Problème supplémentaire : beaucoup de ces bunkers n’appartiendraient pas à la Ville, mais à la SNCF ou à la Préfecture de police.

La Ville de Paris considère par ailleurs que cela provoquerait des nuisances pour les riverains. Les turbines de refroidissement engendreraient trop de bruit — ce qui peut être réglé, comme l’a montré Infomaniak, par une conception intelligente des flux d’air. Sur le principe, c’est oui, mais dans la pratique, pour le moment c’est non. La mairie se dit toutefois ouverte à l’installation de « micro edge datacenters », de petits centres de données, pour des cas d’usages spécifiques.
Quoi qu’il en soit, Paul Hatte compte revenir au Conseil de Paris avec un vœu plus réfléchi, plus travaillé, pour tenter de convaincre ses co-conseillers municipaux. Affaire à suivre.
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

Toute l'actu tech en un clin d'œil
Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !
Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez la communauté Numerama sur WhatsApp !