Alors que les condamnations d’internautes qui consultent des sites dits de « propagande terroriste » se multiplient, un avocat nantais a décidé de demander à ce que le Conseil constitutionnel se penche sur la conformité du dispositif à la Constitution française et à la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est la cour de cassation qui décidera, oui ou non, de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée.
La QPC est demandée par Me Sami Khankan. Il est l’avocat de David Pagerie, un habitant d’Angers originaire de Djibouti, qui a été condamné mercredi à deux ans de prison pour la seule « consultation habituelle » d’un site djihadiste, ce qui n’était pas possible jusqu’à la loi Urvoas du 3 juin 2016. Il a également été condamné pour un autre chef d’accusation, n’ayant pas respecté l’assignation à résidence à laquelle il était astreint depuis les attentats du Bataclan.
Auparavant, la justice devait obligatoirement ajouter aux éléments de l’incrimination des actes matériels permettant de démontrer l’intention terroriste de celui qui consulte un site internet associé au terrorisme. Depuis cet été, il suffit pour être condamné de « consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie ».
La mauvaise foi de l’internaute est présumée, mais l’article 421-2-5-2 du code pénal précise que la condamnation n’est « pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice ».
En l’espèce, le prévenu David Pagerie n’a pas réussi à convaincre le tribunal de sa bonne foi, alors que selon Reuters il s’était « inscrit dans un groupe diffusant des vidéos et messages audio de Daech, qu’il consultait sur son téléphone portable via l’application Telegram ». N’étant ni journaliste ni chercheur, il n’exerçait aucune profession permettant de présumer de sa bonne foi.
Cazeneuve a parié que la loi serait censurée
Ne pouvant défendre son client en sondant les tréfonds de son âme, l’avocat a donc décidé d’attaquer le dispositif qui obligerait à le faire. Selon Le Monde, la QPC porte sur plusieurs éléments qui mettent en doute le respect du principe de légalité des délits et des peines, qui veut que les justiciables puissent savoir objectivement à quel moment ils sont dans l’illégalité, et ne pas subir de peine discrétionnaire ou discriminatoire :
- L’absence de définition précise de ce qu’est une « consultation habituelle » de sites terroristes ;
- L’absence de précision sur ce que serait la « bonne foi » de celui pour lequel l’article ne s’applique pas ;
- Le manque de définition de la notion des actes de « terrorisme » pour lesquels il est interdit de consulter des images ;
- La rupture d’égalité entre les citoyens induite par l’exception offerte à certaines professions.
Sur le fond, l’avocat reproche au dispositif de porter atteinte à la liberté de communication, en faisant du fait de s’informer (fût-ce directement chez l’ennemi) un délit en soi, ce qui est contraire à toute idée que l’on se fait des droits de l’homme. Il y a effectivement une différence entre s’informer et propager.
C’est précisément pour toutes ces raisons que Jean-Jacques Urvoas lui-même s’était opposé à la création d’un délit autonome de visite des sites internet, tout comme Bernard Cazeneuve avant lui.
« Les seules dispositions de l’opposition que nous n’avons pas reprises sont des dispositions que nous estimons incompatibles avec notre loi fondamentale, et qui seraient à ce titre censurée par le Conseil constitutionnel s’il était saisi, y compris dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité », avait prévenu le ministre de l’Intérieur lors des débats, face aux amendements de l’opposition qui exigeaient la création de ce délit.
C’était toutefois en décembre 2015, avant la nouvelle vague d’attentats qui ont touché la France cette année. Depuis, le gouvernement a mis un voile pudique sur ses états d’âme et adopté une position plus sécuritaire.
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