Ils ne se battent pas avec des armes sur le terrain, mais ne sont pas moins profondément investis dans la révolte des peuples insurgés, pour les aider à communiquer entre eux et avec le reste du monde. Un des activistes de Telecomix raconte comment la pression qu’il s’est lui-même infligé pour aider les peuples arabes l’a poussé dans une profonde dépression suicidaire.

Stephan Urbach Pour beaucoup (et nous nous y incluons), défendre l’accès à internet des populations arabes réprimées par les régimes autoritaires lors de leurs révoltes se cantonne à une action confortable, sans danger ni véritable engagement personnel. On y défend de grands principes, à commencer par la défense de la liberté d’expression et de communication, sans prendre le moindre risque pour soi-même. Sans s’engager autrement que par le poids des mots.

Pour d’autres, en revanche, la bataille pour le net est une véritable bataille quotidienne qui peut prendre aux tripes, comme le raconte Stephan Urbach dans un témoignage poignant.

L’homme est un activiste allemand de 31 ans, membre du Parti Pirate, et membre du mouvement Telecomix qui se bat pour redonner l’accès à un internet non censuré dans les pays où l’accès est coupé ou bridé (voir à ce sujet l’excellent article de Geek Politics). Leur action est essentielle, non seulement pour permettre aux insurgés de se coordonner, mais aussi et surtout pour leur permettre d’utiliser Internet comme média pour gagner le soutien international.

Sur son blog, Urbach a décrit l’extrême pression qu’il a ressenti ces derniers mois, et qui a failli le pousser au suicide. Nous avons traduit son témoignage :

Le jour où j’ai voulu mourir – une confession personnelle ou : pourquoi la fermeture d’un groupe fait vivre les gens

Je dois faire un aveu. Un très personnel. J’ai voulu mourir.

J’avais tout prévu. J’ai prévu comment le faire. J’ai organisé les outils pour le faire. J’ai écrit la façon d’accéder à mon compte e-mail, mon serveur, mes sessions IRC et qui devait en être informé. J’étais dans une profonde dépression. Je n’ai vu aucun autre moyen pour sortir de ce sentiment que de me suicider.

La pression était trop forte pour moi. Je travaillais depuis janvier sur différents projets avec Telecomix et d’autres. Nous aidions les Egyptiens à regagner leur connexion à l’Internet, aidions en Syrie, en Libye et dans de nombreux autres pays pour donner aux opprimés une possibilité de s’exprimer. Nous avons rendu possible que leurs voix soient entendues. Littéralement, je me suis battu pour cela. J’ai lutté contre mon cycle de sommeil, mes habitudes alimentaires et mon besoin de loisirs. Certains jours, il devenait normal de rester éveillé pendant 30 heures ou plus.

J’ai vu et lu des choses que je n’aurais jamais pensé possibles. Dans les derniers mois, nous avons aidé de nombreuses personnes à se connecter à Internet, à parler et à montrer au monde ce qui se passait. Certaines ont été perdues. Je ne les ai jamais revues et je ne sais pas si elles ont juste déménagé loin de nous, ou si elles ont été arrêtées ou tuées. J’en ai pas la moindre foutue idée et je ne le saurai jamais.

Chaque jour dans les médias nous voyons tant de mauvaises nouvelles en provenance du monde entier – des nouvelles qui sont mauvaises mais qui ne nous touchent pas directement. Les nouvelles sur ces personnes (ou l’absence de nouvelles) qui parlaient avec moi m’ont touchées profondément. La pression a monté pour les aider, pour aider ces gens qui luttent durement pour leur droit à s’exprimer librement. Plus nous aidions ces gens, plus la responsabilité que je ressentais grimpait à un nouveau degré.

Je ne pouvais plus dormir. J’ai beaucoup trop bu. J’ai fumé bien plus que ce qui était bon pour moi. Je ne voyais plus d’autre sens à ma vie que d’aider d’autres gens. Par dessus ça, j’en ai oublié ce que j’avais besoin pour moi-même. Du sommeil, des loisirs, le cinéma, la musique. Traîner avec mes amis et ne pas penser aux gens sur le terrain et ce qu’il faudra faire ensuite.

Un jour j’ai réalisé que j’étais perdu. Perdu dans cette vie qui n’était pas la mienne. Perdu dans une vie où je ne servais que les autres, des gens qui me considéraient comme un héros. Personne n’a vu que j’étais juste un petit garçon qui voulait jouer avec la technologie et rédiger des études sur l’avenir de la communication.

Pour la faire courte : Il fallait que tout ça s’arrête pour moi. Je n’ai pas vu d’autre moyen que de m’en aller. Partir. Ne plus être un héros. J’avais prévu de me suicider un jour après le CCC Camp. Tout était préparé. Mais là c’est arrivé. Nous avons fermé le groupe d’activistes avec qui j’étais. J’ai rencontré beaucoup de gens formidables pour la première fois en vrai, et beaucoup d’entre eux avaient le même problème. Mes amis étaient là et m’ont montré que la vie valait la peine d’être vécue.

Avec le redémarrage du groupe je me vais me redémarrer moi-même. Je commence à refaire des plans pour ma vie. Je ne suis plus perdu. J’ai ma place dans la scène du hacking et de l’activisme et j’ai mes amis partout dans le monde. Je ne suis pas seul et les faits que j’ai considéré comme un fardeau ne sont plus un fardeau, mais m’ont ouvert les yeux sur ce qui était le plus important dans la vie : communiquer ce que vous ressentez. Et si la communication de mes sentiments aide les autres à faire de même, ça valait le coup.

Alors, je m’arrête pour un redémarrage. Il est temps. reboot-h now

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