En cas d’alternance en 2012, et s’il est au pouvoir, quelle pourrait être la politique du Parti Socialiste en matière de numérique et de culture sur Internet ? Pour en avoir une idée, nous avons longuement interrogé Ludovic Pénet, engagé de longue date sur ces questions au PS, conseiller depuis 10 ans du député Christian Paul, et chargé du numérique au sein du « Laboratoire des idées » que préside ce dernier.

Dans cette première partie, nous abordons la riposte graduée, l’avenir de la Hadopi en tant qu’autorité administrative, la licence globale et plus largement le financement de la culture à l’ère du numérique. La deuxième partie évoquera la neutralité des réseaux, la régulation du net, le très haut débit, l’internet illimité, les primaires… Les réponses sont longues, mais ont le mérite d’aller plus loin dans les débats que les simples déclarations de surface, ce qui nous semble essentiel.

Numerama.com : Le Parti Socialiste promet d’abroger la riposte graduée. Mais quel avenir le Parti Socialiste compte-t-il donner à la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), dont les missions sont plus larges que la seule riposte graduée ?

Ludovic Pénet Ludovic Pénet : Permettez-moi tout d’abord de souligner que je ne parle pas au nom du PS. Je reviendrai un peu plus loin sur ce qu’est le laboratoire des idées. Je suis plutôt un citoyen expert qui contribue de longue date à ses positions et a donc, de ce fait, une certaine vision de ce qui se passe dans ce parti.

Il y a effectivement aujourd’hui un consensus pour abroger la riposte graduée. La haute autorité dans sa forme et ses missions actuelles ne peut être que supprimée, tant la répression est inscrite dans son génome.

Il faudra par contre, à l’évidence, instituer un régulateur fort et mieux soutenir certains secteurs, comme la musique.

Nous n’échapperons pas au débat sur la fusion ARCEP/CSA et à la confrontation sous-jacente entre secteur des télécoms, habitué à une régulation de l’abondance, et monde des médias surtout concerné ici par des régulations fondées sur la rareté, notamment des fréquences.

Ce débat va de paire avec celui sur la constitution d’un pôle public de l’Internet, coordonnant les efforts des différents médias de service public en la matière. Il nous faut, en effet, idéalement basculer d’une logique de quota à une logique de soutien à la production, qui passe, entre autres, par un pôle public fort. Alors que la consommation, notamment des plus jeunes, bascule de plus en plus vers des contenus « à la demande », et même si la télévision reste aujourd’hui encore le média de référence, je ne vois pas d’autre évolution possible, du moins si l’Internet reste aussi ouvert qu’il l’est aujourd’hui.

Le soutien au secteur de la musique passera par un mix de soutien à des initiatives de terrain, créant du lien, et de soutien à la filière dans son ensemble. La hâte du gouvernement dans la mise en place d’un « Centre National de la Musique » ne me dit rien de bon. Les échos que j’en ai tendent plutôt à montrer que l’on s’apprête à déshabiller certains acteurs pour en habiller d’autres et, au final, apporter assez peu à ce
secteur.

Où en est précisément la réflexion sur la licence globale, sur le type d’œuvres couvertes, les droits nouveaux qui seraient accordés, les éventuelles restrictions, son montant, son mode de redistribution… ?

La réflexion sur « l’après HADOPI » a lieu depuis longtemps. Je la fais même remonter bien avant l’HADOPI avec les débats préparatoires à l’examen du projet de loi DADVSI. L’HADOPI n’est en effet pas un accident dans la stratégie de la droite mais au contraire un geste cohérent avec la politique déployée depuis 10 ans. Et, souvenez-vous, une première tentative d’instauration d’une riposte graduée avait eu lieu lors de l’examen de ce premier projet de loi.

Pour autant, même si la réflexion est ancienne, les besoins ont désormais évolué. Nous n’en sommes plus à expliquer pourquoi « le choix HADOPI » est fondamentalement mauvais mais à détailler les alternatives.

À l’initiative de Christian Paul, j’anime le groupe de travail sur le numérique du laboratoire des idées. Dans les semaines qui viennent, nous allons plus particulièrement travailler à :

  • préciser le cadre général ;
  • énumérer les options juridiques ;
  • aborder plus en détail certains secteurs, comme la musique ou le cinéma.

Le « lab » est un cadre intéressant pour ce genre de travaux. Structure satellite du PS, il est possible d’y explorer de nouvelles pistes sans pour autant engager le parti. Cela donne donc une souplesse intéressante. Le « lab » a également un lien privilégié avec le PS et, sur le numérique, la plupart de nos propositions ont par exemple été
intégrées au projet.

Maintenant que l’étape du projet est passé, l’objectif sera d’éclairer les candidats aux primaires et leurs équipes sur cette question puis d’alimenter le programme de celle ou celui qui sera investi.

Concernant le cadre général, il me semble aujourd’hui clair pour tous que l’on ne peut qu’aller vers une autorisation ou une tolérance de certains échanges pour tous les types d’œuvres, qu’elles soient musicales, audiovisuelles, ou d’un autre type. On parle certes plus de la musique car elle a été historiquement la « ligne de front » et qu’on ne peut pas traiter en profondeur de tous les secteurs à la fois, mais la solution est nécessairement globale.

Il faudra, dans le même temps, prendre en compte les réalités de chaque secteur. Si le cadre général sera le même pour tous, la chronologie des médias du cinéma appelle une attention particulière, par exemple.

Le type précis d’autorisation est l’un des principaux points de débat. Entre l’interdiction pure et simple et la légalisation totale existent quelques autres pistes, comme le « cercle familial étendu » ou un « fair use à la française ». Pour moi, le bon niveau d’autorisation doit permettre la co-existence entre les échanges « raisonnables » entre particuliers et une l’offre commerciale. Ce caractère raisonnable n’est pas définissable une fois pour toute dans la loi, mais doit plutôt être ajusté dans le temps par le régulateur et le juge en fonction des usages et de l’état de la technologie.

L’offre commerciale fait l’objet de longue date de toute notre attention. Patrick Bloche n’a pas répété pour rien depuis des années que le problème de la musique en ligne est avant tout économique. J’ajoute qu’il me semble également juridique, le blocage de l’accès au catalogue et les minima garantis trop élevés ayant étouffé le développement de bon nombre de nouveaux services innovants.

Une des pistes que nous explorerons plus particulièrement est la gestion collective obligatoire, qui figure d’ailleurs dans le « programme numérique » et qui aurait l’avantage de rendre plus juste l’accès aux catalogues. Il faut globablement plus de souplesse et de transparence dans le fonctionnement du secteur commercial. La
traçabilité de l’offre final au particulier jusqu’au reversement au créateur reste encore aujourd’hui un objectif.

Pour travailler sur ce volet « offre musicale commerciale », ce groupe s’appuiera notamment sur Xavier Filliol, vétéran du monde de la musique en ligne et l’un des meilleurs spécialistes français de la gestion de droits.

Le cinéma requiert également une attention particulière. La situation de ce secteur est très différente. Pris globablement, il se porte plutôt bien et n’a pas été impacté de la même manière que celui de la musique. Il a cependant des problèmes spécifiques, dont en particulier celui de la chronologie des médias. Là encore, différentes options s’offrent à nous allant du maintien en l’état à la suppression pure et simple.
Je note pour ma part que la chronologie des médias fonctionne encore plutôt bien. Casser quelque chose qui fonctionne n’est pas nécessairement opportun… Les pistes de simplification sont donc les plus intéressantes.
La proposition de Philippe Aigrain de distinguer la diffusion en salle, la première mise à disposition d’une copie numérique au publique et la première diffusion en broadcast (typiquement à la télévision) est intéressante.

Concernant le montant de la contribution dont auraient à s’acquitter obligatoirement les internautes, je pense essentiel de se poser en premier lieu la question de sa nécessité. Si les textes internationaux nous imposent, notamment avec le « triple test », de compenser une éventuelle exception, il n’en reste pas moins qu’il faut encore qu’il y ait quelque chose à compenser. Or, de nombreuses études montrent que les plus gros « consommateurs » de culture sont également les « plus gros téléchargeurs »…

La nature de cette contribution est elle-même un sujet de débat. S’il faudra, pour commencer rapidement, probablement se contenter dans un premier temps d’un dispositif uniforme et inclus dans l’abonnement internet, il semble souhaitable de rendre rapidement cette contribution socialement juste en la modulant selon les revenus.

La répartition de cette rémunération est l’un des sujets les plus passionnants. Il nous faudra probablement combiner une dose d’affectation directe à certains bénéficiaire d’une partie de sa contribution par l’internaute avec des modèles s’appuyant sur les statistiques des « plateformes légales » ainsi qu’une part utilisée pour
le soutien aux nouveaux créateurs.

L’affectation directe est une des pistes à laquelle je suis le plus attaché. Je suis en effet souvent choqué par le manque de valeur ajoutée de certains médias officiels par rapport à certains blogs spécialisés. Avec ce système, on pourrait choisir de soutenir directement certains nouveaux entrants. Pourvoir donner un peu de sous de cette manière à reflets.info, par exemple, m’intéresserait.

À l’évidence, cette contribution devra remplacer et non s’ajouter aux autres rémunérations similaires existantes. La rémunération pour copie privée créée par Catherine Tasca était bien adaptée à l’époque de son instauration. Aujourd’hui, alors que le support disparaît, il nous faut probablement basculer vers un système centré sur les usages.

Les divers prélèvements sur les FAI institués de manière incohérente par la droite tantôt au bénéfice de la musique, tantôt au bénéfice du cinéma, tantôt pour compenser la fin de la publicité à la télévision devront être revus. Ils ont également partie de l’équation, les FAI répercutant en bout de course ces prélèvement sur la facture présentée au consommateur.

Pourquoi exclure les plateformes commerciales de la licence globale, et comment pourront-elles rivaliser avec les offres non marchandes ?

Une règle juste et simple me semble être que toute personne tirant un bénéfice commercial de l’exploitation d’une œuvre doit soutenir la création.

Si, comme nous le pensons aujourd’hui, une gestion collective obligatoire est instaurée, les acteurs à but lucratif auront un accès facile, mais logiquement payant, aux catalogues. À eux ensuite d’être suffisamment innovants pour nous donner envie de payer leurs services.

Que cela soit en terme de facilitation, d’éditorialisation ou de relation directe avec les créateurs, beaucoup me semble devoir être fait. Je dis souvent de manière un peu provocatrice que les éditeurs de service qui ne nous apportent pas une meilleure expérience qu’un réseau P2P ne méritent pas que nous les rémunérions…

Certains affirment également, de manière un peu provocatrice, que la musique n’a plus de valeur en tant que telle mais que c’est aujourd’hui son accès et les services associés qui sont monétisables. Ma position
est un peu différente. Je pense au contraire, et je rejoins la certains producteurs indépendants, qu’il faut redonner une valeur à la musique, en permettant le développement effectif des offres commerciales et en
apportant une rémunération contre les échanges hors marché.

Si l’accès est gratuit, la production de musique et plus largement sa création ne le sont jamais. Les coûts ne disparaissent pas par enchantement. Avant la dématérialisation, les coûts de distribution ne représentaient qu’environ 20% du coût pour le client final. Le reste est toujours là !

(>> Deuxième partie)

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