C’est un rituel. Chaque année, au mois de septembre, les journaux télévisés profitent de l’anniversaire des attentats du 11 septembre pour célébrer leur sérieux par rapport à Internet. France 2 n’a pas manqué à la tradition jeudi soir, en s’obstinant sur un sujet qui n’est qu’accessoire par rapport aux questions que posent vraiment les suites des attentats de New York.

Jeudi soir, sur France 2, David Pujadas s’est étonné de « ce constat qui a de quoi surprendre« , sur le fait que « les théories du complot sont toujours là, et bien là« , pour contester la version officielle des attentats du 11 septembre 2001. « Comment expliquer la persistence de cette thèse farfelue ?« , s’est interrogé le présentateur du journal télévisé, pour lancer un sujet de près de 4 minutes (24,45″) entièrement consacré à la critique des documents conspirationnistes.

Le reportage enchaîne alors les expressions pour bien convaincre les spectateurs que ce qu’ils voient sur Internet (en particulier le fameux Loose Change) n’est que pure affabulation : « thèse extravagante », « manipulation d’images », « arguments pseudo-scientifiques », « arguments fallacieux », « idée fausse », « contre-vérités »,…

« Dix ans après, Internet diffuse désormais des centaines de vidéos sur les attentats« , dit le journaliste.

« Aujourd’hui en quelques clics, vous pouvez constituer un argumentaire qui va vous faire passer pour un ingénieur des matériaux, quelqu’un d’extrêmement compétent, avec des arguments techniques dans plein de domaines« , complète Gérald Bronner, auteur de « vie et mort des croyances collectives« . Son ouvrage, d’après le synopsis, mélange « mythe du Père Noël » et « légendes du 11 septembre 2001 » dans une même analyse.

Or, comme nous avions eu l’occasion de l’expliquer en septembre 2008, puis encore en 2009, c’est le fait même de traiter avec une telle condescendance les thèses du complot qui les renforce. Les médias traditionnels sont perçus par les conspirationnistes comme des censeurs, donc des complices du complot, et tout reportage de ce genre qui ne vise qu’à discréditer les reportages par des arguments d’autorité sont voués à l’échec. Pire, ils alimentent le soupçon.

Si l’objectif du reportage est réellement de rétablir la vérité, pourquoi choisir comme angle unique l’attaque d’Internet, alors qu’il était possible (souhaitable) de préciser que sur Internet sont aussi diffusés des documentaires anti-conspirationnistes, et qu’il existe d’excellents blogs entièrement consacrés à démonter les thèses complotistes, comme Conspiracy Watch ?

Seule concession du journaliste, en une phrase en toute fin de reportage : les mensonges de l’administration Bush, qui n’ont fait « qu’amplifier la méfiance de l’opinion publique« .

Thèse officielle ou mensonges : le mauvais débat

Or c’est bien par là qu’il fallait commencer. Combien de reportages à la télévision depuis 10 ans sur les dangers d’Internet et des thèses complotistes qui y circulent, et combien pour dénoncer l’exploitation politique des attentats du 11 septembre ?

Nous le disions en 2008, avant que le compteur des morts ne s’accélère :

La question est en effet jugée suffisamment grave pour qu’elle ne soit pas traitée d’un revers de main. Si 10 soldats français sont morts en Afghanistan le mois dernier, c’est au nom de la guerre contre le terrorisme menée en réaction aux attentats du 11 septembre. La multiplication des caméras de surveillance, les lois de restriction des libertés publiques (Patriot Act, fichier Edvige, passeports biométriques, …), la conservation des données de connexion des internautes… on ne compte plus le nombre de mesures prises depuis 2001 pour prévenir la possibilité d’un nouvel attentat contre une puissance occidentale.

Plus que la vérité ou les mensonges sur la réalité des attentats, c’est selon nous la légitimité de la réponse faite aux attentats qui devrait être posée, 10 ans après. Le but du terrorisme est par définition de faire peur, et il l’emporte lorsqu’une société prend tellement peur qu’elle juge indispensable de surveiller tout et chacun, à chaque instant.

10 ans après les attentats, il nous paraît indispensable d’ouvrir un débat sur le degré de risque acceptable dans une société. On ne pourra jamais empêcher tout attentat. Dès lors, jusqu’où est-on prêt à abandonner nos libertés et notre vie privée pour s’épargner quelques uns ?

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