Google, Facebook, IBM, Amazon et Microsoft ont annoncé mercredi le lancement de « Partnership on Artificial Intelligence », une organisation commune dont l’objectif affiché est de fixer des lignes de bonne conduite sur le développement des intelligences artificielles, pour qu’elles « bénéficient à la population et à la société ». Les partenaires entendent « répondre à des problématiques importantes, y compris sur l’éthique, la sécurité, la transparence, la vie privée, l’influence, et l’équité ».
Partnership on AI « étudiera l’impact potentiel des systèmes d’intelligence artificielle, et développera et partagera les meilleures pratiques », expliquent les géants américains du Web, qui sont aujourd’hui à la pointe de l’intelligence artificielle avec quelques concurrents comme le Chinois Baidu. Des groupes de travail seront créés autour de la santé (jusqu’où peut-on pousser la médecine personnalisée ?), du transport (qui faut-il tuer en priorité en cas d’accident inévitable ?) ou d’autres secteurs spécifiques qui ne sont pas encore désignés.
Faut-il croire dès lors que Google, Facebook, Amazon, IBM et Microsoft se sont pris d’une passion soudaine pour les risques que peuvent faire poser l’intelligence artificielle sur la société, et qu’ils se promettent la main sur le cœur qu’ils auront bien le bien commun comme première priorité avant leurs intérêts commerciaux ? Sans doute pas.
Un lobby pour mieux orienter les débats sur l’IA
Partnership on AI est d’abord et avant tout une œuvre de lobbying, qui vise à contrer par anticipation les mouvements de protestation qui peuvent naître de la société civile, des gouvernements, ou des concurrents. Elon Musk, par exemple, a créé Open AI en expliquant qu’elle aurait pour but de mettre le contrôle de l’intelligence artificielle dans les mains des utilisateurs plutôt que dans celles des quelques entreprises qui conçoivent des API d’IA, parce qu’il redoute par dessus tout un usage despotique des intelligences artificielles.
L’intelligence artificielle pose énormément de défis éthiques actuels ou à venir, qu’il s’agisse de savoir quel degré d’autonomie accorder aux engins militaires, comment éviter la concentration des richesses aux mains de ceux qui peuvent remplacer une main d’œuvre humaine par des algorithmes, comment éviter qu’une IA n’influence la pensée politique des humains, quel degré d’intrusion dans la vie privée peut-on accorder à une IA pour rendre toujours plus de services personnalisés aux utilisateurs, etc.
L’organisation va publier un maximum de travaux, dont elle aura elle-même déterminé les sujets et les méthodologies
Or la tentation arrivera nécessairement de réguler les IA et ceux qui les font, et donc il est vital pour les géants du Web d’organiser elles-mêmes le débat public, pour mieux en maîtriser l’agenda.
C’est tout l’objectif de Partnership on IA qui va « héberger des discussions, commander des études, écrire et distribuer des rapports sur des sujets critiques, et chercher à développer et partager les meilleures pratiques et des standards pour l’industrie ». L’organisation va publier un maximum de travaux, dont elle aura elle-même déterminé les sujets et les méthodologies, ce qui permettra qu’ils soient cités en référence dans les médias qui aborderont les questions éthiques liées à l’IA, dans les rapports parlementaires, ou dans d’autres travaux scientifiques.
Rien n’est dit non plus sur le financement, dont on peut supposer qu’il sera à très grande majorité sinon en totalité apporté par les fondateurs
En essayant de se placer au centre du débat sur l’IA, l’organisation commune de Google, Facebook, Amazon, IBM et Microsoft vise à mieux maîtriser ce qu’il peut être dit de l’IA, et les réponses apportées aux craintes identifiées. Sachant que l’intelligence artificielle est au cœur de la stratégie et des nouveaux produits des quatre entreprises, ce sont au bas mot des centaines de millions de dollars qui sont en jeu.
Pour tenter de rassurer sur ce point, les partenaires indiquent que la moitié des sièges au conseil d’administration seront confiés à des personnalités extérieures aux quatre fondateurs. Mais il ne dit pas comment ces personnalités seront choisies, par qui, selon quels critères d’indépendance, ni comment seront départagées les voix, ni qui sera le directeur du conseil d’administration. Rien n’est dit non plus sur le financement, dont on peut supposer qu’il sera à très grande majorité sinon en totalité apporté par les fondateurs, ce qui remettra de fait en cause l’indépendance réelle des chercheurs présents au conseil.
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