Démissionnaire de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qu’il a présidé pendant plus de sept ans, Alex Türk a choisi de se consacrer complètement à la politique et aux prochaines élections sénatoriales. Membre de la CNIL depuis dix-neuf ans, le sénateur du Nord a connu une présidence marquée par l’émergence des lois Hadopi et Loppsi et de la multiplication des outils de surveillance.
C’est donc, après pratiquement deux décennies passées au sein de la CNIL, l’heure du bilan pour Alex Türk. Dans un entretien accordé aux Inrocks, le président de l’autorité administrative indépendante (qui quittera officiellement ses fonctions demain) est revenu en particulier sur deux moments forts survenus sous la présidence de Nicolas Sarkozy : les lois Hadopi et Loppsi.
Alex Türk « extrêmement partagé » sur la loi Hadopi
Questionné sur le décalage apparent entre la défense des libertés publiques et le vote de deux lois considérées comme liberticides par de nombreuses organisations et associations, Alex Türk a tenu à rappeler l’extrême méfiance des commissaires de la CNIL. « Nous étions tous personnellement très partagés et donc nous avons fait part d’un avis très réservé« .
Se disant « encore extrêmement partagé aujourd’hui« , le sénateur du nord s’est refusé une lecture binaire de la loi Hadopi. « J’ai une admiration sans bornes pour ceux qui sont capables de dire qu’ils sont d’un coté ou de l’autre. Je comprends bien qu’il ne faut pas remettre en cause les libertés sur Internet, mais je suis aussi conscient que ça peut poser de sacrés problèmes de renouvellement de la création« .
Une position très certainement partagée par deux de ses collègues UMP à l’Assemblée nationale et siégeant également à la CNIL. Les parlementaires Philippe Gosselin et Sébastien Huyghe avaient aussi voté en faveur de la loi Hadopi en 2009. Un vote qui avait notamment valu au président de la CNIL un « prix spécial du jury » décerné par les Big Browser Awards.France.
Sa fiche de nominé ne l’avait pas épargné : « Alex Türk endosse les habits du défenseur tout terrain de la vie privée et des libertés alors qu’il en est parfois le fossoyeur et souvent le facilitateur« . Depuis 10 ans, on ne peut que constater que la CNIL a perdu l’essentiel de ses pouvoirs, en particulier celui qui lui permettait de contrôler a priori les fichiers d’état et les fichiers de sécurité« .
Loppsi : le vote contre une disposition sur la vidéosurveillance
Sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite loi Loppsi, le président de la CNIL a également justifié sa position et son vote. Il était, selon lui, impossible de voter formellement contre le texte de loi dans la mesure où il a bataillé pour introduire une disposition essentielle : le contrôle de la vidéo surveillance en France.
« Durant un an et demi, je me suis battu pour que la CNIL obtienne le contrôle de la vidéosurveillance sur tout le territoire. J’ai fait un énorme travail de lobbying pour y parvenir, je trouvais cette disposition absolument fondamentale » a-t-il expliqué aux Inrocks. Au final, le président de la CNIL est parvenu à ses fins même si la Commission reste dubitative quant à l’efficacité d’un tel dispositif.
« Lorsque j’ai été confronté au texte global, il y avait de nombreux points avec lesquels je n’étais pas d’accord, comme la traçabilité des mouchards ou la pression autour de la vidéosurveillance sur les personnes. J’ai cependant estimé que je ne pouvais pas désavouer un texte qui comprenait une disposition pour laquelle je me suis battu et j’ai donc été obligé d’avaler la couleuvre complète« .
Une couleuvre bien grosse à avaler puisque aujourd’hui, cette loi permet à la police nationale d’utiliser des logiciels espions très perfectionnés et destinés à des opérations de surveillance. Cela couvre notamment les enquêtes à l’encontre de terroristes présumés ou d’individus suspectés de crimes en bande organisée. « Ça m’a choqué lorsque j’ai voté le texte, mais la perspective d’obtenir un contrôle national sur la vidéo me paraissait trop important. […] En votant la Loppsi 2, j’ai accepté des dispositions problématiques. Aujourd’hui, j’assume ce choix« .
Alex Türk souhaite une indépendance plus grande de la CNIL
Satisfait d’avoir pu décrocher le contrôle de la vidéosurveillance sur tout le territoire, ce qui permettra à la CNIL de « proposer des solutions et éventuellement des sanctions pour améliorer ce système« , Alex Türk s’interroge désormais sur l’avenir de la CNIL. Puisqu’il n’est plus possible d’être à la fois président de l’autorité administrative et parlementaire, Alex Türk souhaite plus d’indépendance pour l’institution.
La CNIL « doit acquérir une véritable indépendance vis-à-vis de l’Etat« , notamment sur un plan financier. Alex Türk avait en particulier suggéré un financement par les acteurs du net, « sous la forme d’une cotisation annuelle« . Une piste qui n’a pas été retenue, malgré l’avantage évident : doubler le budget de la CNIL ce qui aurait permis d’accroitre son influence et de traiter des dossiers supplémentaires.
Désormais, c’est à Isabelle Falque-Pierrotin que reviendra la tâche de concrétiser les souhaits d’Alex Türk. L’ancienne présidente du Forum des droits sur Internet (FDI) est pressentie pour prendre la présidence de la CNIL. Elle est membre de l’autorité depuis janvier 2004 et a accédé au poste de vice-présidente en février 2009. Elle a notamment travaillé sur la publicité ciblée, sur le vote électronique, le racisme sur Internet mais aussi sur la genèse de la loi Hadopi.
Une loi qu’elle dit regretter.
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