Le bouleversement numérique est-il un changement qui surviendra dans les années les années à venir ? C’est ce que semble croire Alain Juppé, qui évoque cette transformation… au futur.

Alain Juppé est-il complètement entré dans le XXIe siècle ? C’est la question qu’on est amené à se poser en écoutant ses propos sur la révolution numérique, car le candidat à la primaire des Républicains semble la percevoir comme un évènement à venir, dans un futur plus ou moins distant, et non pas comme une mutation qui est déjà là, induisant dès à présent des transformations sur les pratiques et les comportements dans la vie quotidienne et sur le plan professionnel.

L’échange qui a eu lieu lundi soir entre Alain Juppé et Ruth Elkrief sur BFM TV illustre le décalage apparent entre la vision portée par l’ancien premier ministre et ce qui se passe aujourd’hui avec la « transformation numérique du monde », comme l’a répété si souvent l’intéressé au cours de l’entretien. Systématiquement ou presque, celui qui a été en charge du pays entre 95 et 97 a parlé de ce bouleversement au futur, comme si rien ou presque ne s’était passé depuis quinze ou vingt ans.

Alain Juppé

CC UMP

« Le numérique va tout modifier dans nos vies : le commerce, l’éducation, la santé, la démocratie », a ainsi énuméré Alain Juppé, donnant l’impression de réciter un discours que l’on aurait pu entendre il y a deux décennies. Non, le numérique ne va pas tout modifier dans nos vies. Le numérique est déjà en train de tout modifier dans nos vies. Dans les domaines que l’élu a cités et partout ailleurs.

Les exemples ne manquent pas. Sites de e-commerce et ubérisation des services pour le commerce ; naissance des formations en ligne ouverte à tous (MOOC) et de nouvelles méthodes d’enseignement pour l’éducation ; développement du big data pour analyser les données de santé et de la robotique chirurgicale en ce qui concerne la santé ; généralisation du suivi de l’activité parlementaire et de la pratique de la consultation publique sur des textes de loi.

Le numérique va tout modifier dans nos vies : le commerce, l’éducation, la santé, la démocratie

Le numérique a déjà changé nos vies et il va continuer à le faire dans les années à venir. La transformation numérique du monde n’est pas une ligne d’arrivée qu’on va franchir dans 2, 5 ou 10 ans. C’est un processus en cours dont la portée ne se limite pas seulement à la création de nouveaux outils plus performants. Le numérique n’est d’ailleurs pas un outil ou une technologie. Le numérique, c’est une transformation culturelle. Une modification des pratiques, des habitudes, des comportements.

Et là-dessus, on peut se demander si Alain Juppé a vraiment pris le virage du numérique, sur un plan intellectuel. Car si le candidat assure que le numérique est une « opportunité », qu’il ne faut pas en avoir la « trouille », qu’il est vraiment « branché » sur ces sujets (allant ainsi jusqu’à puiser dans un lexique qui parle aux technophiles), tout en admettant l’existence de défis à relever, comme les questions sensibles de l’emploi et de la protection de la vie privée, Alain Juppé a-t-il vraiment compris le monde numérique d’aujourd’hui et de demain ?

Car la manière dont l’intéressé a géré la diffusion d’un faux tweet qui lui était attribué en dit long sur son manque de culture numérique et sa méconnaissance des pratiques qui ont cours sur les réseaux sociaux, là où fleurissent chaque jour des tas de détournements, de farces et de caricatures en tout genre. Certes, le tweet pouvait manquer de clarté quant à son caractère farceur, mais il a servi involontairement de révélateur sur le décalage entre ce que font nombre d’internautes et une partie du personnel politique.

Sur la question économique aussi, la position d’Alain Juppé laisse perplexe. Le candidat a certes répété qu’il ne faut pas avoir peur du numérique et que c’est une chance, n’hésitant pas à célébrer d’un côté l’audace des jeunes sur le sujet et de l’autre l’excellence des Français (jusque là, c’est rien que du classique, ils le disent tous). Pour autant, son programme  n’engage pas de réflexion sur la manière dont le travail est amené à évoluer avec, notamment, la robotisation croissante des postes.

Pratique culturelle et vision économique

L’ancien premier ministre a certes reconnu que le numérique « va supprimer des emplois » (comme si cela ne survenait pas déjà) mais a ajouté dans la foulée que des postes nouveaux verront le jour, reprenant la théorie économique de Joseph Schumpeter sur la destruction créatrice : par exemple, les fabricants de fiacres ont certes perdu leur emploi mais ils ont fini par être remplacés par des constructeurs automobiles. Mais cette théorie est-elle encore valide à une époque où le règne du numérique commence ?

Son programme économique, nettement libéral, inclut par exemple le retour aux 39 heures. Manifestement, Alain Juppé a tranché : la France aura autant de travail voire plus qu’avant. Or du fait du poids croissant de certains avatars du numérique, comme l’IA et la robotique, il n’est pas certain que ce sera le cas. Nous sommes dans une ère où des mutations dans nombreux secteurs vont engendrer des conséquences sociales telles qu’il devient incontournable de réfléchir aux moyens pour soutenir à la fois le développement technologique et le développement humain.

En la matière, le revenu universel est aujourd’hui l’une des pistes les plus en vue pour accompagner ce mouvement et trouver une réponse au chômage structurel dont une part croissante vient de progrès technologiques si radicaux qu’ils déplacent progressivement et massivement la charge du travail effectuée auparavant par les humains vers des robots et des algorithmes d’IA, sans que la création de nouveaux postes ne puisse éponger l’arrivée massive de nouveaux chômeurs.

Piste sur laquelle Alain Juppé refuse pour l’instant de s’engager, la critiquant comme une idée marxiste alors qu’elle séduit des économistes contemporains ainsi que des politiques de gauche comme de droite. Signe que tout « branché » qu’il prétend être sur les sujets du numérique, il y a certains changements de paradigme que le candidat de droite n’a pas encore effectué. À la fois personnellement et politiquement.

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