Nous le voyions venir depuis déjà plusieurs années. En 2009, nous avions ainsi relayé la position du président de la Confédération des buralistes, qui avait demandé au gouvernement « l’obligation pour les fournisseurs d’accès de déconnecter les sites contrevenants, accompagnée d’une exigence officielle auprès des banques de blocage des flux financiers correspondants« . Puis ces derniers mois, le sujet est revenu sur la table par l’entremise de députés qui ont été nombreux à relayer la demande de blocage de 400 sites de vente de cigarettes sur Internet.
Or c’est ce que préconise un rapport parlementaire remis au gouvernement par les députés Jean-Marie Binetruy (UMP), Jean-Louis Dumont (PS) et Thierry Lazaro (UMP). Constatant que « le volume des saisies de produits du tabac acheté sur Internet a été multiplié par 6 » entre 2009 et 2010, les auteurs demandent que « donner à la justice les moyens de désactiver un site suspect le temps d’une enquête et de saisir les noms de domaines des sites convaincus de pratiques illégales« .
« Les moyens de lutte contre les sites Internet existent, il convient donc de les appliquer avec la plus grande fermeté à la vente de produits du tabac alors que la législation française prohibe déjà cette pratique« , écrivent les trois députés. Pour eux, les mesures qu’ils préconisent « permettent de mettre fin à des contrevenants dont les sites Internet sont consultables en France alors qu’ils sont hébergés dans un pays tiers« .
Si le blocage est une mesure désormais connue en droit français, elle n’est toutefois encore jamais appliquée à titre conservatoire, avant tout jugement. Par ailleurs, la saisie des noms de domaine est une pratique inédite, mieux connue aux USA où elle fait débat. Elle pose un problème grave lorsqu’elle aboutit à saisir les noms de domaine de sites qui, peut-être sont illicites en France, mais pas vis à vis d’autres législations nationales.
En attendant, si le projet de loi de protection des consommateurs est adopté en l’état, la DGCCRF pourra bientôt saisir elle-même la justice pour faire bloquer les sites de vente de cigarettes sur Internet, comme toute violation du droit de la consommation.
La vente de cigarettes sur Internet coûterait 13 millions d’euros à l’Etat
Dans leur rapport, les députés identifient trois raisons de lutter contre les ventes parallèles de cigarettes, notamment par Internet. Des raisons d’ordre sanitaire (« les mesures anti-tabac perdent leur efficacité devant l’augmentation du trafic illégal et la dangerosité des produits ainsi vendus »), d’ordres fiscales (« plus de 2 milliards d’euros sont perdus chaque année » par la non imposition des cigarettes vendues hors du réseau officiel), et économiques (« la dégradation de la situation des buralistes qui sont de plus en plus nombreux à fermer leurs établissements »). Or cette dernière explication semble être la seule qui vaille, bien qu’elle soit fortement contestable.
En effet, au niveau fiscal, le rapport montre que selon les propres chiffres de la direction générale des Douanes et droits indirects (DGDDI), les achats sur Internet ne représenteraient que 0,10 % des achats de cigarettes, ce qui correspondrait à une perte fiscale de seulement 13 millions d’euros. Soit une goutte d’eau par rapport aux 13 milliards d’euros de taxes collectées sur le tabac.
Au niveau sanitaire, le rapport passe à côté d’une mesure simple à mettre à œuvre. Alors qu’il cite l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) pour justifier le blocage des sites de cigarettes, le rapport n’aborde pas la possibilité d’imiter son modèle d’homologation de l’offre légale, pour ne bloquer que les sites qui ne respectent pas un certain nombre d’engagements, notamment sanitaires. La vente de cigarettes sur Internet reste interdite par principe, sans véritable explication.
La seule explication reste donc le désir de protéger le monopole des buralistes, pour des motifs économiques. Autant le dire clairement. Surtout lorsque le rapport affiche un graphique qui montre que 20 % des décès en France sont liés au tabac proposé en toute légalité par ces vendeurs de mort en boîte.
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