Affligeant débat que celui des primaires de la droite et du centre. Au moment-même où aux États-Unis Barack Obama expliquait à son peuple qu’il fallait se préparer rapidement à un monde où l’on travaillerait moins grâce à l’IA et aux robots, en France les candidats Républicains se battaient pour savoir comment organiser l’augmentation du temps de travail. Comprennent-ils quel sera le pays qu’ils entendent diriger jusqu’en 2022 ?

Qui sera le prochain président de la République française ? Sauf à croire à un improbable retournement de situation qui permettrait à un candidat du Parti Socialiste de l’emporter, il était jeudi soir sur le plateau de TF1. Ce sera Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire, François Fillon, Jean-François Copé, ou Jean-Frédéric Poisson. Mais aucun des candidats n’a su démontrer sa conscience des transformations du monde et une véritable vision de l’avenir, en particulier sur les questions économiques et sociales.

Tous ont plaidé, comme s’il s’agissait d’une évidence, pour la suppression des 35 heures afin de permettre une augmentation du temps de travail hebdomadaire dans les entreprises. Entre un Nicolas Sarkozy ou un Alain Juppé qui veulent laisser libre cours aux négociations internes à l’entreprise pour déterminer le plafond, ou un Jean-Frédéric Poisson qui préfère que le législateur reste maître, il n’y avait guère que des détails pour distinguer les candidats sur un sujet pourtant crucial pour l’avenir.

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Aucun des candidats n’a expliqué pourquoi, selon lui (ou elle), le fait de permettre à des Français qui travaillent déjà de travailler plus encore permettrait de créer de nouveaux emplois pour les quelques 10,5 % de chômeurs que la France connaît actuellement. « Je ne serai pas la Martine Aubry de la droite », a affirmé Nicolas Sarkozy. Mais il croit comme Juppé qu’augmenter le temps de travail de ceux qui en ont déjà va permettre de créer de l’emploi supplémentaire, comme Martine Aubry a cru que baisser le temps de travail allait pousser les entreprises à devoir recruter. C’est la même erreur. La réalité est évidemment beaucoup plus complexe, dans un cas comme dans l’autre.

Président jusqu’en 2022 dans un monde en révolution technologique

C’est une vision globale qu’il faut avoir, de l’avenir du travail. Lorsque l’on prétend diriger la France entre 2017 et 2022, on ne peut pas parler du temps de travail et des charges sociales (que là aussi, tous les candidats Républicains veulent alléger) sans aborder les questions fondamentales liées aux avancées technologique, dont la vitesse d’adoption et de développement est exponentielle.

La comparaison est cruelle, mais au moment-même où François Hollande provoquait le défilé de ses petites phrases extraites d’un livre de journalistes où il se montre plus médiocre politicien que jamais, et au moment où les Républicains se préparaient à réciter leurs petites fiches en reprenant des propositions de la campagne 2012 voire 2007, Barack Obama livrait une grande interview au magazine Wired pour parler longuement de l’intelligence artificielle, de la robotisation et des changements fondamentaux induits par les technologies. Car ça va tout changer, comme le 19e siècle s’est transformé par la révolution industrielle. L’informatisation progressive au 20e siècle n’était qu’un prélude.

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Même si actuellement les États-Unis connaissent une situation de plein emploi, le président américain sait que l’avenir pourrait être beaucoup moins radieux pour les Américains dont les emplois sont ou seront remplaçables par des machines. « Nous voyons des IA spécialisées dans tous les aspects de nos vies, de la médecine au transport jusqu’à la manière dont l’électricité est transportée, et ça promet de créer une économie largement plus prospère et efficace. Si c’est correctement employé, ça peut générer une prospérité et une chance énormes. Mais ça a aussi quelques côtés négatifs qu’il faudra affronter, pour ne pas éliminer des emplois. Ça pourrait accroître les inégalités. Ça pourrait supprimer des emplois », a ainsi prévenu Barack Obama.

« J’ai tendance à être du côté optimiste — historiquement, nous avons absorbé de nouvelles technologies, et les gens découvrent que de nouveaux jobs sont créés (…). Je pense que nous pourrions être dans une période un peu différente, simplement à cause de l’applicabilité omniprésente de l’IA et d’autres technologies. (…) Les individus à bas salaire, bas niveau de qualification, deviennent de plus en plus redondants et leur travail pourrait ne pas être remplacé, et leur salaire supprimé. Si nous voulons gérer avec succès cette transition, il faudra que nous ayons une conversation sociétale sur la manière de gérer cela. Comment nous former et assurer que l’économie est inclusive si, en fait, nous produisons plus que jamais, mais que de plus en plus va dans les mains d’un petit groupe tout en haut ? Comment s’assurer que les gens aient un emploi ? ».

Ces questions fondamentales, aucun des candidats à la primaire des Républicains ne les aborde. Le plus inquiétant, c’est qu’ils ne donnent même pas l’impression de s’y intéresser ou d’en avoir conscience. Ils abordent la sortie des 35 heures et l’augmentation du temps de travail de ceux qui ont un emploi comme une évidence économique, alors qu’elle s’inscrit dans le sens contraire d’une histoire qui a toujours vu les progrès technologies abaisser la durée du travail, et alors même que ces progrès technologiques n’ont jamais autant remis en cause la nécessité que les humains travaillent autant pour assurer la prospérité de la société :

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Évolution de la productivité et de la durée hebdomadaire du travail aux USA (source : criseusa.lemonde.fr)

Il n’y a pas que la question du temps de travail, sur laquelle il faut réfléchir rapidement dans la perspective d’un quinquennat qui courra jusqu’en 2022. Jeudi soir, tous les candidats étaient également d’accord sur la nécessité, selon eux, de « baisser les charges ». Mais absolument aucun ne s’intéresse à la question, sans doute beaucoup plus fondamentale pour l’avenir, du transfert des charges.

Savoir si le revenu universel est le bon modèle c’est un débat que nous aurons ces 10 ou 20 prochaines années

Actuellement la très grande majorité des cotisations sociales et patronales sont assises sur le salaire versé à l’employé. C’est la « taxation » des salaires qui finance la sécurité sociale, les retraites et le chômage. Mais s’il n’y a structurellement plus assez de travail pour tout le monde, et si les entreprises peuvent « recruter un robot » pour faire des tâches que les humains faisaient, en mettant désormais les hommes et les femmes au chômage plus vite qu’ils ne parviennent à créer de nouveaux emplois non substituables, il sera absolument nécessaire de penser à une révolution du système social.

Il faudra peut-être que les entreprises ne paient plus seulement des cotisations calculées selon le salaire qu’ils versent aux employés, mais aussi selon la part du chiffre d’affaires qu’ils génèrent grâce aux IA et aux robots. Ce transfert, qui mérite des études économiques très sérieuses, devrait au moins apparaître dans le débat public. Mais il était encore une fois totalement absent des positions exprimées jeudi par les candidats de la primaire de la droite.

La question d’un éventuel revenu universel de base, qui pourrait justement être financé par le transfert partiel des cotisations sociales, n’est pas non plus apparue derrière les pupitres. Or là aussi, on peut citer Barack Obama : « Savoir si le revenu universel est le bon modèle — sera-t-il accepté par une large base de la population ? — c’est un débat que nous aurons ces 10 ou 20 prochaines années. (…) Les emplois qui seront déplacés par l’IA ne sont pas uniquement des emplois de bas niveau de qualification, il pourrait aussi s’agir d’emplois de haut niveau qui sont répétables et que des ordinateurs peuvent faire ».

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