Tout commence à une conférence de vidéastes. Celle-ci réunit le gratin du youtube game français, les plus vus, les plus influents des vidéastes du réseau. Sur scène, une majorité — écrasante — d’hommes. Et entre eux, une à deux femmes. La scène est stupéfiante et un véritable miroir de la scène créative qui se produit sur YouTube en France.
Devant le succès des hommes dans tous les domaines, sciences, fiction, histoire ou politique, les femmes de YouTube n’ont droit à un succès réel que lorsqu’elles semblent, métaphoriquement, rester à la maison : maquillage, tuto déco ou cuisine. Est-ce l’image que donne notre génération ? La question est légitime.
Est-ce l’image de notre génération ?
Le youtube game est un monde moderne, composé de jeunes gens connectés et souvent au fait des questions de sexisme, et pourtant, c’est un monde à l’image d’une société qui peine à évoluer et où la femme est mieux à la maison à parler maquillage avec ses copines qu’au centre de l’attention pour parler politique.
Un paradoxe resté dans le secret de ceux qui s’en plaignaient sans voir de solutions, et surtout vécu par des jeunes filles, seules devant leur caméra à ne pas comprendre pourquoi lorsqu’elle parle archéologie, il faut toujours que leur audience les ramène à leur statut de femmes : t’as de beaux ongles !
Elles font des vidéos
Ainsi est né au printemps dernier le collectif, désormais association, nommé Les Internettes. Fort d’un constat évident et pourtant tabou, ces jeunes féministes connectées ont voulu sensibiliser et mettre en valeur la création au féminin.
Parfois conscient, parfois critique, le petit monde du youtube game n’a pas pu échapper à ce collectif qui comptait parmi ses soutiens quelques grands noms, que ce soit des femmes (SolangeTeParle) ou des hommes influents. Car dans le fond, les hommes régnant sur YouTube ne sont pas forcément satisfaits d’une situation qui met n’importe qui plutôt mal à l’aise tant elle s’éloigne de la communauté que chacun espère pour YouTube : égalitaire, audacieuse, solidaire et sainement compétitive.
Lorsque nous rencontrons Les Internettes, le bureau de l’association désormais constitué nous accueille tout sourire et se réjouit de l’ouverture récente d’un compte en banque : non, elles ne sont pas prêtes de s’arrêter.
Et c’est vrai que depuis la première vidéo de sensibilisation, l’association n’a pas chômé et a tenu sa promesse de poster chaque jour des vidéos de qualité, sur tous les sujets, réalisées par des vidéastes au féminin. Exclusive, comme démarche ? Non, « positive, corrigent les responsables, nous ne souhaitons pas attaquer ou nous plaindre, mais bien construire quelque chose de positif, la première étape a été de mettre en lumière des femmes. »
La double peine
Car, on nous l’assure, être une femme sur YouTube, ce n’est pas simple, et l’agressivité n’est jamais loin dans les commentaires. Loin de l’image que l’on pourrait se faire d’un monde créatif et apaisé où tout le monde est copain, une membre des Internettes lâche alarmiste : « YouTube n’est pas une safeplace pour les femmes. »
Et en effet, les jeunes femmes des Internettes connaissent et expliquent sans mal une situation connue quotidiennement par les créatrices : « Il y a déjà le problème des commentaires. On peut toutes répéter des « n’y faites pas attention », mais en réalité, tout le monde a besoin de lire les retours sur une vidéo qui a pu demander des heures de travail. Et lorsqu’on est une femme, on va osciller entre appel au viol et au meurtre fréquents et décomplexés ou plus calmement à du sexisme bien classique : vous avez travaillé votre production, votre sujet et votre montage, vous aimez ce que vous faites, que ce soit de l’économie ou de l’humour, et si vous êtes une femme, vous n’échapperez pas à des commentaires sur vos attributs, votre charme ou des détails bien plus scabreux. »
Et à ce bizutage sexiste systématique que subissent les créatrices, même les plus connues, vous ajoutez un autre facteur, plus inconscient et peut-être encore plus pervers : « être une femme et passer la barre des 10 000 abonnées lorsque l’on n’est pas dans des sujets « girly », cela relève du parcours du combattant, allez comprendre. Mais citez moi plus de cinq créatrices célèbres ne parlant pas de sujets girly ? ». Alors on bredouille, et on se justifie en expliquant qu’on connait mal le youtube game, mais la vérité, c’est que Les Internettes ont touché juste.
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Face à cette double peine, dans laquelle une femme est à la fois moins visible et également peu respectée, il ne faut pas s’étonner que YouTube soit aussi divisé que des WC publics, chacun de son côté, aux hommes la politique et l’économie, aux femmes la déco et la mode. Que faire ? Construire et se battre nous répondent Les Internettes, jamais défaitiste.
Féministe au futur
Leur discours est plein de références, d’analyses tirées des sciences sociales et du lexique du féminisme moderne. Nous finissons par leur demander si certaines d’entre-elles ont déjà eu un engagement dans une association féministe. « Non, aucune de nous. On a appris sur le tas, sur le net et en lisant des livres que l’on se recommande. » Ainsi va cette génération autodidacte, même dans ses luttes… et avec brio.
À leur actif, Les Internettes ont eu plusieurs succès. Une belle et riche conférence sur la création au féminin cet été au Pavillon des Canaux, un hashtag #YoutubeusesDay « qui est resté en TT pendant des heures ! » et une fidèle communauté sur leur Facebook, où se sont réunis plus de 11 000 internautes intéressés de voir les femmes émerger sur YouTube.
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Mais loin de se reposer sur ces premiers acquis, Les Internettes veulent continuer de secouer le youtube game. « Rien que notre existence provoque un débat, un questionnement, c’est important. » La suite ? Elles ne manquent pas de projets : « Nous travaillons sur un vaste documentaire à propos des vidéastes au féminin depuis les débuts du youtube game ».
Mieux encore : Les Internettes veulent organiser des master-class pour les jeunes filles souhaitant se lancer dans l’arène de YouTube : « iI faut qu’on pousse des jeunes vidéastes et pour cela, on veut donner des cours sur les bases de la réalisation, de l’écriture, mais aussi, glissent-elles, inquiètes, sur la manière de survivre face à la haine déversée chaque jour dans les commentaires qui peut miner le moral quand on est une jeune fille seule dans sa chambre. »
En espérant que ce combat porte rapidement ses fruits.
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