La proposition de loi « relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle » déposée par le sénateur Jacques Legendre (UMP) risque de faire crier plus d’un auteur et d’un éditeur. Elle s’inspire en effet d’un scénario pourtant rejeté par le Sénat pour les photographies, qui prévoit de confier à une société de gestion collective le droit de commercialiser des licences d’exploitation numérique des livres imprimés au siècle dernier, qui ne sont plus disponibles dans le commerce. Souvent, les ayants droit de ces livres ne sont plus trouvables, ou les droits liés à l’exploitation numérique n’ont pas été contractualisés ce qui gèle leur publication sur des plateformes comme le Kindle, le Fnacbook ou iBooks.
D’une complexité parfois déconcertante, le texte prévoit que par principe toutes les œuvres du 20ème siècle réputées « indisponibles » seront désormais gérées par une société de gestion collective (SPRD) ayant reçu agrément du ministère de la Culture, sur le modèle bien connu de la Sacem. Pour être réputée indisponible, le livre devra avoir été publié en France avant le 31 décembre 2000, n’être plus commercialisé « de façon licite », et avoir été inscrit par un organisme (qui sera nommé par décret) dans une base de données publique dédiée à cet usage.
Moyennant finances, la SPRD pourra alors délivrer à qui le souhaite des licences d’exploitation numérique des livres ainsi indisponibles pour une durée de cinq ans renouvelable. Les sommes collectées seront réparties entre les éditeurs et les auteurs qu’elle connaît et qu’elle est capable de contacter, tandis que la part due aux « introuvables » sera versée au fonds d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes. Une véritable mine d’or en perspective.
6 mois pour s’opposer après inscription au registre
Pour ne pas qu’il s’agisse d’une pure expropriation, la proposition de loi prévoit la possibilité pour les auteurs et les éditeurs concernés de s’opposer à la gestion collective de leurs livres devenus indisponibles. Une fois l’œuvre inscrite publiquement sur la base de données, l’opposition doit se faire par écrit dans les six mois.
S’il s’oppose à la gestion collective, l’éditeur doit exploiter commercialement l’œuvre dans un délai de 2 ans, sinon il perd le bénéfice de cette opposition.
S’il ne s’est pas opposé dans les délais, l’éditeur se voit tout de même proposer une licence d’exploitation exclusive de son propre livre (sic), qu’il a deux mois pour accepter. Au delà, n’importe qui pourra éditer l’ouvrage en s’aquitant des droits auprès de la SPRD. Mais si l’éditeur accepte cette licence exclusive, l’auteur n’aura lui-même que deux mois pour prévenir le cas échéant la SPRD que le contrat avec son éditeur était en fait devenu caduc, et que l’éditeur n’avait donc plus aucun droit à faire valoir ! De là à croire que certains éditeurs pourraient profiter du système pour retrouver une exclusivité perdue, il n’y a qu’un pas… D’autant qu’ils seront beaucoup mieux organisés que les auteurs pour surveiller les mouvements sur la base de données.
Enfin, s’ils souhaitent retrouver la plénitude de leurs droits, l’auteur et l’éditeur devront se mettre d’accord pour demander ensemble la désinscription du livre de la base de données. Dans un tel cas, l’éditeur aura 18 mois pour commencer à exploiter commercialement l’ouvrage, et les licences octroyées par la SPRD resteront valides.
Et dire qu’il serait tellement plus simple de modifier la loi pour que les droits d’auteur s’arrêtent (par exemple) 20 ans après la première publication de l’ouvrage… ce qui serait bien plus profitable pour le domaine public et pour les auteurs d’œuvres récentes, qui seraient les seules à devoir être achetées. C’était l’objectif initial du droit d’auteur : rémunérer l’auteur le temps qu’il puisse publier de nouvelles œuvres. Rien de plus.
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