Google l’a annoncé jeudi sur son blog officiel. Le moteur de recherche a réalisé une nouvelle mise à jour de ses algorithmes qui affiche désormais en priorité les résultats les plus « frais », notamment dans les requêtes liées à l’actualité, mais pas uniquement. « Par exemple, si vous recherchez les meilleurs appareils photos numériques, ou si vous voulez acheter une nouvelle voiture et voulez les tests de la Subaru Impreza, vous voudrez probablement les informations les plus actualisées« , justifie Google. Il a sans doute raison, du point de vue de l’utilisateur. Et disons le pour écarter tout soupçon, Numerama semble plutôt bénéficiaire de cette nouvelle mise à jour.
Mais pas moins de 35 % de l’ensemble des requêtes effectuées par les internautes sont impactées par cette nouvelle formule, ce qui en fait un changement d’algorithme trois fois plus important que le fameux Google Panda qui a tant fait parler de lui cet été ! Ce qui devait amener Google à faire preuve d’un sens des responsabilités très particulier, qu’il semble avoir parfaitement ignoré. Une fois de plus.
Déployé avant l’été aux Etats-Unis, puis le week-end du 15 août en Europe, Google Panda avait déjà été dévastateur pour de nombreux sites internet, et avait conduit des entreprises entières à mettre la clé sous la porte, ou à licencier du personnel. Contrairement à ce que Google avait prétendu à l’époque, Panda n’a pas seulement affecté les « fermes de contenus » ou même les comparateurs de prix (au grand bénéfice de Google Shopping), loin s’en faut. Des milliers de sites parfaitement légitimes ont été sanctionnés, le plus souvent sans qu’ils y trouvent la moindre explication rationnelle. Du jour au lendemain, des sites qui étaient bien classés dans les résultats de recherches liées à leur activité se retrouvent amputés de plus de la moitié de leur trafic, les conduisant inévitablement à la faillite. Il suffit de lire les témoignages parfois bouleversants publiés sur le forum officiel de Google ou sur des sites spécialisés comme WebmasterWorld pour comprendre que les modifications des formules mathématiques effectuées par Google affectent avant tout des hommes, qui ont parfois passé des années à construire une activité qui se retrouve ruinée en quelques heures. Par l’effet d’une simple modification de l’algorithme de Google, des chefs d’entreprise se retrouvent obligés de convoquer un à un chacun de leurs salariés pour leur expliquer qu’il vont devoir les mettre au chômage. Eux-mêmes n’ont parfois plus les ressources pour payer leurs emprunts et se retrouvent démunis. En France, ils ne touchent pas les Assedic.
Aucun autre équivalent que l’Etat
Certes, il n’est jamais sain et donc toujours trop risqué de faire reposer toute une activité sur un seul moteur de recherche. Mais dire cela revient à condamner tout un champ d’activités, lorsque Google représente plus de 90 % du marché en Europe, et 65 % aux Etats-Unis. La dépendance à Google n’est jamais voulue. Elle est subie. Sauf à pouvoir investir un budget publicitaire phénoménal, ou à avoir une activité parfaitement adaptable sur les réseaux sociaux, dès lors qu’une entreprise crée son activité en ligne, elle est de fait dépendante du moteur de recherche ultra-dominant.
Songez-y. Jamais personne dans l’Histoire n’a jamais eu autant d’influence sur tout un secteur de l’économie, avec un droit de vie ou de mort sur les entreprises qui l’animent. On ne parle pas là d’une ligne de bus qui serait déviée et causerait préjudice à quelques commerces de proximité, ou de l’interdiction soudaine d’un produit que l’on découvre dangereux, utilisé par une poignée de fournisseurs. L’impact de Google est beaucoup plus fort. Tous ses changements d’algorithmes influent en positif ou en négatif sur des centaines de milliers d’entreprises à travers le monde. En France, la FEVAD dénombre 85 000 sites e-commerce. Dans son dernier observatoire (.pdf), l’AFNIC constatait que plus de la moitié des quelques 1,8 million de noms de domaine en .fr étaient réservés pour des utilisations professionnelles, ce qui – on le devine – est le cas pour une écrasante majorité des domaines en .com. Le rapport McKinsey (.pdf) commandé par Bercy pour mesurer « l’impact d’internet sur l’économie française »estimait que le web représentait 1,15 million d’emplois en France en 2009, et qu’il pourrait peser 5,5 % du PIB en 2015. Ce sont sans doute des chiffres sur-évalués (c’est la loi du genre), mais ils donnent tout de même à imaginer le volume économique considérable sur lequel Google a une influence directe ou indirecte.
Seul l’Etat dispose de pouvoirs de nuisance équivalents, ce qui le conduit à un comportement responsable. Lorsque des mesures législatives sont susceptibles d’impacter toute une profession, l’Etat consulte, prévient, annonce les modifications à venir et tente au maximum d’en limiter les effets négatifs. Certaines mesures réglementaires sont annoncées des années en avance, pour laisser le temps aux entreprises d’anticiper leurs effets et de s’adapter. L’Etat ne prend pas en compte que l’intérêt des consommateurs (ce qui chez Google revient à ne considérer que son propre intérêt), mais l’intérêt de l’économie et de la société tout entière. En tant qu’agent économique aux pouvoirs exorbitants, l’Etat a appris à n’agir qu’avec une main tremblante. Là où Google agit en bulldozer, n’hésitant pas à modifier les résultats de plus d’un tiers des recherches pour satisfaire ses utilisateurs et conserver ses parts de marché.
Sans doute Google pourrait-il agir avec plus de responsabilité, en ne déployant ses nouveaux algorithmes que progressivement, ou en effectuant des simulations qui permettent aux webmasters de connaître à l’avance l’impact attendu par les modifications. Mais il ne le fera pas parce qu’il n’en a ni l’intérêt, ni la contrainte. La petite start-up créée dans un garage de Mountain View est devenue un monstre sans foi ni loi dont on se demande ce qui pourra arrêter sa capacité de nuisance. Laquelle s’exprime, aussi, par la manière avec laquelle Google est en train d’imposer Google+ en jouant sur la peur des entreprises d’être déclassées.
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