Promulguée le 29 mai 2011, la loi sur le prix unique du livre numérique peut désormais entrer en application. Frédéric Mitterrand a en effet fait paraître au Journal Officiel le décret n° 2011-1499 du 10 novembre 2011, qui était obligatoire pour que la loi entre véritablement en application.
Unique au monde, et l’on devine pourquoi, la loi sur le prix unique du livre numérique oblige tous les éditeurs de livres situés en France à fixer le « prix de vente au public » des versions numériques des livres qu’ils éditent, et oblige tous les marchands à s’y conformer dès lors qu’ils vendent des livres à des acheteurs situés en France (théoriquement, la loi pourrait donc s’appliquer aussi aux sites internet étrangers de livres électroniques qui vendent des livres français aux internautes français). Au nom de l’exception culturelle, le gouvernement évite que les libraires puissent se faire concurrence, ce qui serait pourtant utile pour faire baisser le prix du livre au public et ainsi encourager davantage la lecture. Et pour éviter le développement des offres pirates.
Le décret publié vendredi avait deux objectifs principaux : définir quels sont les livres numériques concernés par la loi, et préciser les modalités commerciales.
Sur la définition du livre numérique, le texte réglementaire du ministère de la Culture risque d’entretenir le flou. La loi, dans son article 1er, disposait qu’elle s’applique aux versions électroniques des livres s’ils sont déjà publiés sous une forme imprimée, ou s’ils pourraient l’être « à l’exception des éléments accessoires propres à l’édition numérique« .Le décret n’est pas plus précis et se contente de dire que ces « éléments accessoires » sont les « variations typographiques et de composition, des modalités d’accès aux illustrations et au texte telles que le moteur de recherche associé, les modalités de défilement ou de feuilletage des éléments contenus, ainsi que des ajouts de textes ou de données relevant de genres différents, notamment sons, musiques, images animées ou fixes, limités en nombre et en importance, complémentaires du livre et destinés à en faciliter la compréhension« . Dès lors qu’en excluant ces contenus le livre numérique est identique au livre papier, la loi s’applique à lui.
Sur les modalités commerciales, la loi disait que le prix de vente peut « différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage« . Le décret précise sur ces trois points que :
- « le contenu d’une offre peut être composé de tout ou partie d’un ou plusieurs livres numériques ainsi que de fonctionnalités associées » : c’est-à-dire que l’éditeur pourra être très précis et proposer une multitude de prix différents pour le livre complet, pour chaque chapitre, ou encore pour plusieurs livres associés dans un pack… ;
- « les modalités d’accès au livre numérique s’entendent des conditions dans lesquelles un livre numérique est mis à disposition sur un support d’enregistrement amovible ou sur un réseau de communication au public en ligne, notamment par téléchargement ou diffusion en flux ( » streaming « ) » : là encore, selon les DRM et les règles qu’ils sont censés faire respecter, les éditeurs pourront fixer des prix différents. Il pourra varier aussi selon que le livre est proposé en téléchargement ou en consultation à distance ;
- « les modalités d’usage du livre numérique se rapportent notamment au caractère privé ou collectif de cet usage, à la durée de mise à disposition du livre numérique, à la faculté d’impression, de copie et de transfert du livre numérique sur divers supports de lecture » : là encore, le prix pourra dépendre des DRM et de ce qu’ils permettent ou non.
Aussi, alors que la fixation du prix unique du livre papier était très simple, l’éditeur devra penser à toute une série de cas différents lorsqu’il fixera le prix de ses livres numériques, au risque sinon de paralyser les éditeurs les plus innovants. L’article 3 du décret impose d’ailleurs aux éditeurs d’établir des barèmes précis qui identifient tous ces critères, et de diffuser cet arc-en-ciel de prix sous forme de base de données.
On ne voit pas, à ce stade, comment la loi pourrait être bénéfique à l’édition littéraire en France. Au contraire, elle risque de la scléroser sous des contraintes administratives excessives et inédites au monde, qui in fine ne profiteront pas au lecteur. Il n’est même pas certain que la loi autorise les plateformes à proposer des offres d’abonnement « à la Deezer ». Si chaque éditeur pourra fixer son propre prix pour les abonnements à l’ensemble de son propre catalogue, rien ne semble en effet permettre de panacher les offres de plusieurs éditeurs dans un même abonnement. Or il y a de fortes chances que ce mode de découverte de la littérature se développe de plus en plus… en tout cas à l’étranger. Amazon s’y est déjà lancé aux Etats-Unis.
Une chance cependant, provisoire : le décret qui devait fixer les peines en cas de non respect de la loi n’est pas encore paru.
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