A l’occasion du Forum d’Avignon, qui ouvre ce vendredi, le cabinet Ernst & Young a livré son étude sur la propriété intellectuelle à l’ère du numérique. Un morceau d’anthologie.

Ce vendredi s’ouvre le Forum d’Avignon, où l’Hadopi est persona non grata cette année parmi les intervenants. A cette occasion, les organisateurs ont commandé au cabinet Ernst & Young une étude sur « la propriété intellectuelle à l’ère du numérique« , dont le descriptif paraissait prometteur. On y parlait en effet d’une étude « portant sur 16 pays », comme s’il allait s’agir là d’un travail fouillé. En fait, il s’agissait d’un travail fouillis.

Reconnaissons d’ailleurs à Ernst & Young une réelle honnêteté. Dès la première page de son étude, le lecteur est averti que « la présente publication comporte des informations succintes » et « ne saurait se substituer à un travail de recherche approndie« . C’est le moins que l’on puisse dire. Le résultat de 28 pages seulement (.pdf), mis en ligne par le Forum d’Avignon, est en effet à bien des égards effarant de raccourcis et de dogmatisme pavlovien. Il suffit pour s’en convaincre d’en citer quelques extraits, honteusement reproduits par nos soins en contournant le DRM du fichier PDF qui interdisait les copier-coller (rappelons à Ernst & Young que le code de la propriété intellectuelle dispose en son article L122-5 que « l’auteur ne peut interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées »).

Dans une étude qui ne comporte absolument aucun chiffrage économique, le cabinet affirme d’emblée que « toute utilisation non autorisée (d’une œuvre) entraîne une diminution des recettes que les créateurs de contenus perçoivent en contrepartie de la vente et de la distribution légales de leurs œuvres« . Il ajoute, appréciez la formulation, que l’on « ignore le coût économique exact du piratage numérique pour les créateurs de contenus, mais il est suffisamment élevé pour compromettre gravement l’adoption de nouveaux modèles d’affaires numériques dans plusieurs secteurs des Médias et du Divertissement« 

Dans un encart sur les motivations de la consommation illégale de contenus sur Internet, et sans aucune explication, Ernst & Young affirme que « les FAI limitent la production et/ou la distribution de contenus légaux, de sorte que ces derniers sont plus difficiles à obtenir« . Ils seront ravis de l’apprendre.
A propos de l’ACTA, qu’il décrit comme s’il était déjà entré en vigueur, Ernst & Young estime que « cet accord, sans être parfait, constitue néanmoins un progrès vers la limitation du piratage en ligne« , mais que l’on « peut cependant regretter que la Chine, pays confronté au piratage à grande échelle, ne compte pas au nombre des signataires« . Rappelons que le Brésil et l’Inde ne font pas non plus partie des signataires, que le sénat du Mexique l’a rejeté, et que même l’Europe n’est pas encore officiellement signataire. Elle pourrait même ne jamais l’être, la compétence juridique de la Commission étant disputée, comme c’est le cas aussi aux Etats-Unis où la conformité de l’ACTA avec la constitution est incertaine.
Pour Ernst & Young, qui écrit aussi ce rapport dans le contexte du Sommet culturel G8/20 organisé en marge du Forum par Frédéric Mitterrand, l’Hadopi est un modèle à suivre. « Malgré le nombre limité d’affaires transmises au parquet (moins de 60), il convient de ne pas sous-estimer l’impact attendu de cette nouvelle réglementation« , assure le cabinet, qui voit un « paradoxe » dans le fait qu’une loi qui sert de modèle à d’autres états soit aussi contestée à l’intérieur-même du pays. Rappelons tout de même, là aussi, que pour le moment aucun pays n’a jamais imité l’Hadopi, et que tous ceux qui s’y sont tentés ont reculé ou traînent des pieds.
Saluant les DRM dont elle souhaite la généralisation, l’étude se félicite de l’avènement des services de Cloud computing qui dépossèdent le consommateur du contenu qu’il achète ou qu’il loue. « Le stockage et les services en nuage offrent de nouvelles sources potentielles de revenus et une plus grande flexibilité
en matière de tarification. Par exemple, le détenteur d’un contenu peut proposer de nouvelles options aux consommateurs : paiement pour une seule utilisation, paiement pour cinq utilisations, paiement pour détention et partage du contenu, etc.« . Et tant pis pour le code de la propriété intellectuelle que l’on assassine, en ignorant superbement toutes les exceptions au droit d’auteur qui ne sont plus que théoriques, dans un univers où l’exploitation des œuvres est entièrement contrôlée par l’informatique.
Ernst & Young voit tout de même quelques problèmes au Cloud, dont celui-ci qu’il fallait oser écrire : « les entreprises dans l’incapacité de vendre un même contenu aux consommateurs plusieurs fois (pour différents supports, plateformes) risquent d’accuser des pertes de chiffres d’affaires« . Un contenu mis « dans le cloud » pouvant être lu aussi bien sur une tablette tactile qu’une console de jeux ou un ordinateur, les consommateurs n’ont plus besoin d’acheter plusieurs fois la même œuvre pour la lire sur les différents supports. Diantre.
Enfin, applaudissons la conclusion, brillante : »Les différentes parties prenantes mettent trop souvent l’accent sur de faux débats, tels que la liberté d’expression, l’accès à la culture, ou autres arguments les opposant de manière infondée au respect des droits d’auteur. C’est en privilégiant davantage les partenariats, les accords et l’utilisation des technologies, en faisant en sorte que les droits soient protégés et les opportunités de monétisation exploitées que tous les acteurs de ce nouveau marché numérique pourront tirer leur épingle du jeu« .

Une bien belle étude qui restera dans les annales.

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