C’est un vote décisif qui attend les députés ce mardi 8 novembre. Les représentants de la nation vont en effet décider s’ils adoptent définitivement le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « projet de loi Sapin 2 », qui prévoit notamment de créer un statut et une protection pour les lanceurs d’alerte.
Après être passé à deux reprises devant l’Assemblée nationale et le Sénat et une fois devant la commission mixte paritaire, chargée d’aplanir les divergences entre les deux chambres du parlement, le projet passe aujourd’hui en lecture définitive. Qu’il soit adopté ou non, le projet de loi continue de diviser au sujet des lanceurs d’alerte.
Comment le lanceur d’alerte est-il défini par le projet de loi ?
Le texte propose de définir un lanceur d’alerte en ces termes :
« Une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
La définition est pour le moins restrictive puisqu’elle empêche tout personne morale (comme une association, une ONG ou un syndicat) de prétendre au statut de lanceur d’alerte. L’individu qui peut en bénéficier doit accepter pour cela de s’exposer, avec tous les risques professionnels, judiciaires et économiques que cela implique : l’institution ou l’entreprise visée a peu de chances de rester les bras croisés.
Quelle procédure doit suivre le lanceur d’alerte en cas d’abus avéré ?
Supposons qu’un employé constate un dysfonctionnement ou un abus tel qu’ils sont définis dans le projet de loi. Il devra s’abstenir de contacter la presse ou de l’évoquer sur les réseaux sociaux : le texte exige en effet que l’aspirant lanceur d’alerte respecte un certain nombre d’étapes préalables avant de signaler publiquement le souci qui l’a poussé à agir.
Il doit d’abord alerter sa hiérarchie. Si celle-ci ne réagit pas « dans un délai raisonnable » à ses retours ou qu’elle est complice, le salarié peut alors se tourner vers la justice ou une autorité administrative compétente. En cas d’inactivité pendant trois mois, il peut enfin rendre son signalement public. La seule exception prévue n’est possible qu’en « cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles ».
Pourquoi les lanceurs d’alerte doivent-ils bénéficier d’un statut ?
Irène Frachon et l’affaire du Mediator, Hervé Falciani et les évadés fiscaux chez HSBC, Stéphanie Gibaud et l’évasion fiscale chez UBS, Anne-Marie Casteret et le scandale du sang contaminé, Philippe Pichon et le fichier STIC ou encore Antoine Deltour et les LuxLeaks… les exemples de Français qui ont décidé de mettre leur carrière en jeu pour révéler un dérèglement ne manquent pas.
Tous ces signalements se sont révélés d’intérêt public et ont permis de faire cesser des pratiques inadmissibles ou, en tout cas, d’en réduire les effets. Mais à chaque fois ou presque, cela se conclut par un sort peu enviable pour celui qui prend la parole : procès sur procès, chômage, situation financière difficile, pression de l’entreprise ou de l’institution qui a été touchée par les révélations…
Pourquoi le texte pose problème ?
Les étapes obligatoires à respecter avant de se tourner vers la presse figurent parmi les critiques les plus récurrentes contre le texte, au même titre que la suppression du terme « menace » du champ de l’alerte (le domaine dans lequel exerce le lanceur potentiel), pourtant présent dans les versions antérieures. Le projet ne prévoit plus qu’une réaction possible en cas de préjudice avéré. Or, tout l’intérêt de l’alerte est de pouvoir prévenir d’un danger avant que celui-ci ne survienne pour en limiter les effets auprès de la population.
C’est le cas par exemple d’un laborantin travaillant pour le compte d’un très grand groupe pharmaceutique. S’il repère une formule médicamenteuse pouvant être dévastatrice pour la santé publique, il n’est pas certain qu’il puisse bénéficier du statut de lanceur d’alerte puisque l’on ne se trouverait qu’au stade de la menace et non pas de l’incident avéré, même s’il respecte bien toutes les étapes.
Challenges rappelle que le Sénat a refusé que l’on supprime les actions de rétorsion internes contre le lanceur d’alerte (blâme, mutation forcée, licenciement…) et fait disparaître la possibilité d’obtenir un soutien financier face aux frais de justice sous la forme d’une avance. Les sénateurs ont aussi supprimé la possibilité pour le lanceur d’alerte de demander des sanction civile ou pénale (notamment des amendes) face des procédures abusives de diffamation, représailles ou entrave, qui lui seraient intentées.
Quel rôle pour les députés ?
Les députés devront donc décider s’ils veulent obtenir un statut creux de lanceur d’alerte avec une protection réduite à peau de chagrin ou s’ils entendent au contraire offrir un véritable cadre à ceux qui s’exposent personnellement pour le bien commun. Et il y a fort à faire, entre une définition imparfaite du lanceur d’alerte et les modifications effectuées au Sénat qui ont considérablement affaibli la portée du texte.
Cette situation a été vivement dénoncée par une foule d’organisations impliquées sur le sujet, comme Anticor, qui lutte contre la corruption, des syndicats, Greenpeace, la Ligue des Droits de l’Homme. Sur Internet, une pétition signée par plus de 60 000 individus réclame que la loi accorde un statut global et une protection effective à tous les lanceurs d’alerte en conformité avec les meilleurs standards internationaux. En février 2015, quatre médias francophones avaient lancé Source Sûre, une plateforme sécurisée pour recevoir les informations transmises par des lanceurs d’alerte.
Reste à savoir si les députés entendront les arguments de leurs soutiens.
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