Dans la nuit de mardi à mercredi, les Américains ont décidé que Donald Trump serait le prochain président des États-Unis. Une victoire du candidat de tous les extrêmes, qui s’est montré ces derniers mois tour à tour ultra-nationaliste, conspirationniste, raciste, misogyne, climato-sceptique, homophobe et menteur et soutenu par des groupes aux idéologies toutes aussi extrêmes — Ku Klux Klan en tête. Cette victoire, la presse américaine ne l’avait pas vue venir ce matin, estimant impossible qu’une telle personne puisse convaincre, en 2016, plus de la moitié des électeurs. Et pourtant, elles s’est trompée — et en tire aujourd’hui, à chaud, les premières conséquences.
Le journalisme américain est passé à côté du pays
Du côté du New York Times, l’immense quotidien qui s’est numérisé avec succès et a toujours été l’un des piliers du renouveau journalistique, intégrant big data, réalité virtuelle ou journalisme par drone dans sa pratique du métier, c’est la question des sondages et de la prédiction qui est posée.
« Toute l’incroyable technologie, le big data et les modèles de prédictions complexes que les newsrooms américaines ont utilisé pour couvrir la présidentielle n’ont pas pu sauver le journalisme américain : il est passé à côté de son sujet, à côté de la réalité du pays », lit-on dans un premier édito du journal. Avant le jour des élections, les modèles prédictifs du New York Times affirmaient en effet que Hillary Clinton avait 84 % de chances de remporter l’élection présidentielle. Quand les premiers résultats ont été connus, les chances de la candidate Démocrate ont baissé… jusqu’à ce que Trump arrive à 93 % de chances d’être le prochain président. Le modèle prédictif a été assommé par la réalité et aucune data, aucune donnée, aucune statistique n’a été capable de l’anticiper.
À l’heure où on estime que la technologie permet d’anticiper, de cibler, de saisir réellement ce que les gens pensent ou souhaitent penser grâce à des indices laissés sur le web, les élections américaines sont un rappel en lettres capitales pour le New York Times : les phénomènes humains sont trop complexes et subtiles pour être résumés par ces outils. Et c’est tout le travail du journalisme moderne qui est remis en cause par un principe aussi vieux et fondamental que la profession : pourquoi n’a-t-on pas questionné ces données ? « Les journalistes n’ont pas questionné les chiffres quand ils confirmaient leur instinct qui leur disait que Trump ne pourrait jamais gagner ». Un biais de confirmation s’est donc transformé en arbre qui a caché la forêt.
Du côté de Vox.com, média d’information politique qui appartient à Vox Media, l’un des groupes de presse les plus à la pointe aujourd’hui, éditant des titres comme TheVerge ou ReCode, on affirme qu’une partie de cet arbre, c’était l’affaire des emails de Clinton. Une grande partie de la couverture de la campagne démocrate s’est faite sous l’angle de « l’affaire des emails », dans laquelle, à quelques jours de l’élection, Clinton a fini par être hors de danger. Cette histoire était importante, dans la mesure où elle implique des questions de sécurité nationale, mais la presse américaine aurait-elle dû en parler autant ?
Les deux nuages de concepts publiés par le média montrent à quel point les électeurs ont été submergés par des informations autour d’un point qui n’avait pas de rapport direct avec la campagne. Dès lors, comment peut-on prétendre affiner un choix politique si le programme politique est caché derrière un scandale ?
La campagne de Trump a été correctement couverte par la presse, affirme le média, avec suffisamment d’articles pour démonter les arguments du candidat. Cela dit, cette couverture systématique de la petite phrase, du dérapage, de l’absurdité a entraîné un brouhaha qui a masqué les véritables problèmes de la candidature Trump. Trump a régné sur les réseaux sociaux, soutenu par des groupes organisés, et a su entretenir le bruit autour de ses frasques. Mais ses électeurs savent-ils qu’il souhaite revoir les lois Obama sur l’accessibilité des soins pour les plus démunis, mettant en danger l’accès aux soins de 22 millions d’Américains ? Qu’il pense que le changement climatique est un complot de la Chine ? Que son vice-président est convaincu qu’on peut « guérir de l’homosexualité » avec des électrodes ?
De l’autre côté du spectre électoral, la presse américaine a couvert des faits marginaux, négatifs aussi, mais qui n’ont jamais mis en valeur ce que proposait Hillary Clinton. Qu’il s’agisse de couverture optimiste ou de critique, le travail journalistique n’a pas été fait : « Toute l’histoire des emails, c’était fondamentalement des conneries », titre Vox sans nuance.
C’est donc une double défaite qui ressort de ces premières réactions : celle du journalisme assisté par la technologie et celle de la place démesurées accordée aux phénomènes technologiques dans le débat public, qui ont caché les véritables enjeux des élections. Une leçon que la presse française devra retenir dans sa couverture des prochaines élections présidentielles.
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