Il existe un principe en droit français de la propriété intellectuelle, qui est d’intérêt public. Contrairement au droit d’inspiration britannique (ce qui peut donner lieu à une exploitation politique redoutable), les actes officiels et les décisions de justice ne sont pas soumis à un droit d’auteur, car une telle protection serait incompatible avec l’adage qui veut que nul n’est censé ignorer la loi ou la jurisprudence. C’est aussi un principe de bon sens, puisque les lois, décrets, textes réglementaires locaux, et autres jugements sont rédigés au nom du peuple, et c’est donc le peuple qui est propriétaire de ces actes.
Mais malgré ce fondement de bon sens, tous les actes administratifs et tous les actes liés à la procédure judiciaire ne sont pas dans le domaine public.
En mai dernier, le député Lionel Tardy (UMP) avait interrogé le ministère de la Justice pour contester la pratique du Conseil d’Etat, qui ne rend pas publiques les conclusions du… rapporteur public (sic). Celui-ci a pourtant, selon les propres explications de la juridiction administrative, la « mission d’exposer les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître (…) son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient ». C’est un rôle clé, puisque l’avis du rapporteur public est très souvent suivi par les juges administratifs.
Or comme le rappelait le député, la communication des conclusions « dépend de la seule volonté de leur auteur et, lorsqu’elles sont effectivement communicables, ces conclusions demeurent frappées d’une redevance réglementaire (10 € devant les formations d’assemblée ou de section du Conseil d’État, 7 € devant les autres formations) perçue par le Centre de recherche et de diffusion juridique du Conseil d’État« . Pourtant, ajoutait-il, « ce sont des documents importants quant à l’accès au droit des justiciables, permettant de comprendre la logique d’un arrêt, notamment parce que les attendus et motivations ne sont pas toujours explicites, ou lorsque l’arrêt est rendu contre les conclusions du commissaire du gouvernement« .
Dans sa réponse, le ministère de la Justice n’évoque à aucun moment les principes de bonne justice qui voudraient que les conclusions du ministère public soient publiques. Il se repose sur le droit d’auteur du magistrat pour justifier l’injustifiable. « Le principe de l’oralité des conclusions du rapporteur public exclut la systématicité de leur publication« , commence le ministère. « Les agents publics disposent seuls, en tant qu’auteurs, du droit de divulguer leur œuvre« , et le fait que le rapporteur public n’est soumis à aucune hiérarchie empêcherait le Conseil d’Etat de lui imposer d’abandonner ses droits exclusifs. « Le rapporteur public peut librement disposer des conclusions qu’il prononce à l’audience« , conclut le ministère de la Justice, sans s’en émouvoir. Pas la peine d’espérer une réforme législative pour corriger cette absurdité.
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