Dans le petit quartier de Tenderloin, l’un des plus défavorisés de San Francisco, on pratique le neighbor-to-neighbor, plus communément appelé le n-to-n. Le principe : faire appel à des personnes capables de régler une situation d’urgence — état d’ébriété, conflit de voisinage… — au lieu de recourir à la police. Les citoyens qui estiment que la situation ne serait pas bien gérée par la police peuvent aussi faire appel à Concrn, l’application mise en place en 2014 par Jacob Savage, alors âgé de 24 ans.
Les utilisateurs de Concrn (jeu de mot qui évoque le terme anglais « inquiétude ») appelés par le biais de l’application ne sont évidemment pas habilités à gérer des crimes ou autres problèmes de violence. Leur priorité est plutôt d’aider des toxicomanes en danger, des personnes en état d’ivresse, des sans-abri et de gérer toutes les situations dans laquelle l’aide d’une personne tierce s’avère plus efficace que l’intervention d’un policier. À l’évidence, les méthodes policières ne sont guère efficaces face à un homme en plein bad-trip, qui n’a pas besoin d’être enfermé pour aller mieux.
Le défi relevé par Jacob Savage est immense. L’homme se promène ainsi chaque jour dans les rues de Tenderloin, où les passants le reconnaissent au même titre que lui, qui se souvient des visages des personnes qu’il a aidées. Ainsi, même sans utiliser son application, il a établi un lien avec les sans abris et les toxicomanes du quartier. On le trouve souvent arpentant les rues avec une trompette, car il considère la musique comme un excellent moyen d’aider les toxicomanes à reprendre pied lorsqu’ils sont en plein bad trip. Savage se promène aussi avec un ballon de foot, dans le même esprit.
Cette police communautaire sans arme ni uniforme, comme l’organisation l’explique, est loin de l’idée très européenne que l’on se fait d’une milice, et plus proche d’une Croix rouge d’urgence, réalisée par les citoyens pour les citoyens.
Jacob Savage, qui a grandi à Palo Alto, a toujours souhaité rejoindre les forces de l’ordre. Après avoir tenté sa chance avec les cadets de la police au lycée, et étudié dans ce but à l’université, il a fini par déchanter en face de son rêve. Loin des idéaux qu’il voulait défendre, il n’a pas pu supporter s’associer à un système perpétuant l’incarcération de masse comme un moyen et une finalité. Il finira dégoûté en découvrant que la police de San Francisco enfermait systématiquement les malades mentaux en détresse.
Il décide alors d’inventer des solutions pour que des travailleurs sociaux puissent intervenir à la place des policiers dans ce type de situations, une idée qui annonce la naissance de Concrn. Le jeune homme reçoit aujourd’hui moins d’une dizaine d’alertes par jour, et s’occupe avec ses bénévoles de chacune d’entre elles.
Son initiative divise au sein de la police locale. Si certains sont heureux de ne plus avoir à gérer des situations dans lesquelles leur pouvoir d’action reste limité, le capitaine de police de Tenderloin lui, s’indigne de l’existence d’une telle application, comme il l’explique au San Francisco Magazine : « Ce n’est vraiment pas responsable de convaincre les personnes d’y recourir. Je ne crois pas qu’il soit bon pour la communauté de ne pas appeler la police au cours de situations de crise. Cela crée un risque de sécurité majeur. »
Le capitaine semble oublier que l’application déconseille d’envoyer à ses utilisateurs d’envoyer des alertes en cas de crime ou de violences, et que les bénévoles n’interviennent jamais dans ces cas-là. Savage ajoute : « Concrn n’est là que pour les crises émotionnelles ou de santé, pas pour des cas dangereux ou impliquant un crime. »
Aujourd’hui, l’organisation réunit plus de vingt bénévoles sur le terrain pour le seul Tenderloin, et moins d’une dizaine de bénévoles pour gérer leur ligne d’urgence. Aucun n’est payé mais Jacob Savage espère bientôt pouvoir payer des employés à 17 dollars de l’heure grâce aux dons du public.
Le jeune homme rêve d’établir Concrn a une plus grande échelle, convaincu que son modèle d’organisation est transposable sur de plus larges territoires. Peut-être San Francisco un jour ou Oakland. Le défi pour Concrn reste de convaincre les membres d’une communauté à prendre en charge les problèmes de leur quartier et ainsi faire de leur modèle n-to-n une évidence à travers le pays.
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