Si l’Hadopi a désormais atteint son rythme de croisière avec l’envoi de plus de 10 000 avertissements par e-mails chaque jour, la troisième phase de la riposte graduée fait pour le moment chou blanc, au grand désespoir des ayants droit. Depuis septembre 2010, où elle a commencé à envoyer ses premiers e-mails, la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi n’a eu à traiter que d’une centaine de dossiers d’abonnés ayant été avertis plus de deux fois, qui sont donc susceptibles de faire l’objet d’une transmission au parquet pour négligence caractérisée.
La machine à suspendre les accès à internet des abonnés pirates fait pshit, notamment parce qu’elle se heurte à des difficultés à la fois juridiques et pratiques de mise en œuvre, et à la réalité concrète du terrain.
Comme nous l’indiquions cette semaine, l’une de ces difficultés est la gestion des cas d’abonnés qui ne sont pas parisiens, qui peut créer un sentiment d’inégalité procédurale. Contactée par Numerama, la présidente de la CDP Mireille Imbert-Quaretta nous explique en effet que le législateur a prévu pour respecter le principe du contradictoire que toute personne qui demande à être entendue doit pouvoir s’expliquer devant la CPD, qui a alors l’obligation de l’entendre ; et que la CPD elle-même peut convoquer les abonnés. C’est ce qu’elle fait systématiquement, puisque la « très grande majorité » des abonnés ne réagissent jamais aux deux premiers avertissements, y compris au courrier recommandé, alors que « trois quarts » réagissent après la demande de convocation. Or, la CPD est obligée de recueillir les observations des abonnés avertis pour monter son dossier qui sera éventuellement transmis au juge.
11 membres de l’Hadopi pour réaliser des auditions dans toute la France
Mais l’Hadopi est installée à Paris. Or, concrètement, 90 % des dossiers d’abonnés qui arrivent en 3ème phase sont en province, nous révèle Mireille Imbert-Quaretta. « Même pas dans les villes, mais dans des zones rurales souvent très reculées« , nous précise la magistrate. Mais l’Hadopi ne dispose que de 11 personnalités habilitées à procéder à des auditions, et il en faut au minimum deux présentes à chaque audition. Les membres de la CPD ne travaillant pas à temps plein pour l’Hadopi, on imagine facilement le nombre limité des auditions permises. D’autant que faute pour le législateur d’avoir autorisé les auditions par visioconférence, ce qui ne peut pas être fait par un simple décret, les auditions doivent nécessairement se faire « de visu », à Paris ou en province.
Pour le moment, faute de modification législative ou d’accord de coopération avec les services décentralisés du Défenseur des Droits ou de la CNIL, les membres de la CPD doivent donc se déplacer en région pour recueillir les observations des abonnés qui demandent à être entendus. Mais lorsqu’elle le peut, la CPD se contente de prendre note des réponses formulées par écrit ou par téléphone par les abonnés avertis. Lesquels, contrairement à ce que prétend l’association SOS Hadopi, sont bien avisés en bout de course de la décision prise par l’Hadopi : soit transmettre le dossier au juge, soit clore le dossier.
Aucun dossier transmis au parquet
Jusqu’à présent, aucun des dossiers n’a été transmis au parquet. Les abonnés qui arrivent dans cette troisième phase de la riposte graduée semblent être des internautes sans grandes connaissances techniques, qui se voient souvent expliquer pour la première fois comment désinstaller eMule ou BitTorrent (supprimer le raccourci sur le bureau ne suffit pas…), ou ce qu’est une mise en partage d’une œuvre qu’ils pensaient avoir uniquement téléchargé. La CPD ne s’est encore jamais trouvée confrontée, en troisième phase, à un pirate patenté, ou n’a jamais eu d’éléments suffisants pour en acquérir la conviction. Ce qui peut vouloir dire, bien sûr, que les vrais pirates passent très vite à d’autres méthodes lorsqu’ils reçoivent les premiers avertissements.
On croit deviner, aussi, même si bien sûr Mireille Imbert-Quaretta ne le dit pas aussi nettement, que certains dossiers sont socialement difficiles à transmettre lorsque la sanction par le parquet est quasi automatique dans le cadre de l’ordonnance pénale. Comment faire condamner un foyer de smicards qui peine à joindre les deux bouts en fin de mois, parce qu’ils téléchargent les films que leurs enfants n’ont pas les moyens d’aller voir au cinéma ? C’est aussi cela, la réalité du terrain. Celle que la première loi Hadopi avait tenté d’ignorer sous la pression des ayants droit, en prévoyant une automatisation de la sanction, et que le conseil constitutionnel a heureusement censuré.
C’est aussi cette réalité qu’ignorent les ayants droit, lorsqu’ils assignent les intermédiaires techniques pour faire bloquer les plateformes de streaming, plutôt que de se remettre en question pour proposer une offre réellement accessible au plus grand nombre. Le piratage n’est pas qu’un problème économique. C’est aussi une question sociale.
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