L’argument est proprement ahurissant. Questionné par les députés qui manifestaient leurs inquiétudes face aux risques que pose l’existence d’une base de données aussi vaste et aussi sensible que le fichier TES (Titres Électroniques Sécurisés), le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a opposé une réflexion franchement consternante pour expliquer qu’il n’y a rien à craindre.
« La meilleure manière d’éviter qu’il y ait un gouvernement d’une autre nature qui ait de mauvaises intentions, c’est de ne pas porter ses suffrages vers ceux qui pourraient avoir des idées pernicieuses ». Traduction : votez pour le Parti socialiste aux prochaines élections !
Ou, à tout le moins, d’élire une formation politique qui a le souci de respecter les institutions de la Ve république, de préserver leur forme républicaine et de ne pas toucher aux acquis de la Constitution au moindre fait divers, à la moindre émotion.
La logique de Bernard Cazeneuve a été rapportée mardi par Regards, alors qu’il répondait aux parlementaires. Elle a de quoi faire sursauter. Comment ne pas voir dans cette petite phrase autre chose qu’une sorte de chantage ? En résumé, la pensée du ministre est de dire : votez pour nous ou pour des gens comme nous pour qu’il n’y ait pas de problème.
Bernard Cazeneuve montre surtout qu’il semble faire un pari sur l’avenir. Un pari qui est dangereux dans le contexte actuel : n’a-t-il pas vu la dérive autoritaire qui a lieu en Hongrie sous la présidence de Viktor Orbán ? Le Brexit réclamé par une partie des Britanniques ? Le choix surprise des Américains pour Donald Trump ? Le fait que le FN représente l’une des principales forces politiques en France ?
Pour le dire autrement, l’Occident est traversé ces dernières années par des logiques de repli sur soi, de rejet de l’autre et d’autoritarisme. La France n’est pas vaccinée face à ces phénomènes. Il suffit de voir le succès qu’a l’extrême droite : il y a une vraie possibilité pour qu’elle puisse obtenir le pouvoir. Improbable ? Tout comme l’a été l’élection de Donald Trump ou la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, sans doute…
Il vient en effet de reconnaître en filigrane le danger potentiel que porte le fichier TES
« Gouverner, c’est prévoir », disait Emile de Girardin. Gouverner, ce devrait être aussi bien réfléchir aux dispositions législatives et réglementaires que l’on prend car les mandats politiques ne durent qu’un temps.
Surtout, la phrase de Bernard Cazeneuve vient contredire toutes ses précédentes déclarations. Il vient en effet de reconnaître en filigrane le danger potentiel que porte le fichier TES. En effet, s’il n’était pas si problématique, le fait de porter sa voix sur tel ou tel mouvement politique constituerait un non-sujet. Ce ne serait ni un rempart en plus pour éviter des dérives ni un feu vert pour détourner le fichier.
La création du fichier TES a été permise par un décret publié au Journal officiel à la toute fin du mois d’octobre. Le gouvernement a ainsi pu éviter la case du débat parlementaire et donc le risque d’une action de certains parlementaires devant le Conseil constitutionnel — le contournement du parlement constitue d’ailleurs l’une des critiques qui sont adressées à l’exécutif.
Face à la polémique, Bernard Cazeneuve a finalement accepté d’en discuter avec les élus mais sans possibilité de voter. Il a en revanche refusé de suspendre la mise en place de ce fichier, mais a promis qu’il tiendrait compte des remarques de la représentation nationale ainsi que de certaines institutions spécialisées (CNIL, ANSSI, CNNUM, DINSIC) pour que la base de données ne pose aucun souci.
Il reste toutefois à vérifier si le fichier pourra effectivement fonctionner. Depuis le début du mois de novembre, trois recours administratifs ont été engagés devant le Conseil d’État. On dénombre celui de l’association La Quadrature du Net, via le collectif des Exégètes Amateurs, l’action du think tank Génération Libre, et celle de la Ligue des droits de l’Homme.
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