En apparence, il ressemble au bâtiment abritant le quartier général des Men in Black. Aucune fenêtre visible donnant sur l’extérieur, une architecture massive et anguleuse, ainsi qu’une surface tout en béton. Seuls écarts notables avec le QG des hommes en noir, la hauteur importante de l’immeuble et la présence de bouches d’aération démesurées situées à mi-hauteur et tout en haut.
La comparaison s’arrête là. Ce n’est pas dans ce building que vous trouverez les agents J et K en train de travailler pour la paix galactique et la sécurité de la Terre. À la place, vous trouverez un banal gratte-ciel — si tant est que ce qualificatif puisse s’appliquer à une construction faisant honneur au brutalisme — où travaillent chaque jour des employés de l’opérateur AT&T.
Du moins, c’est ce que raconte la version officielle. En fait, cet édifice atypique, planté en plein Manhattan, à New York, n’accueillerait pas (que) les salariés du fournisseur d’accès à Internet américain. Dans les couloirs et les pièces du bâtiment, il y aurait bien des agents du gouvernement ; pas ceux du MIB, non, mais d’une autre organisation dont l’acronyme est tout aussi célèbre : NSA.
C’est ce que révèle cette semaine le site web The Intercept, fondé par le journaliste américain Glenn Greenwald, dont le fait d’armes le plus célèbre est d’avoir dévoilé au monde les programmes de la NSA sur la base des documents confidentiels extraits par Edward Snowden lorsqu’il travaillait encore pour l’agence nationale de sécurité. C’était en 2013.
Plus de trois ans après la publication de ces informations, force est de constater que les éléments récupérés par le lanceur d’alerte sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. En effet, ce sont dans ces fichiers que les journalistes de The Intercept ont découvert le vrai rôle de cet immeuble, que l’on surnomme Long Lines Building, à cause de ses longues lignes architecturales, à savoir l’écoute de certaines communications internationales.
« Le gratte-ciel de Manhattan semble être un emplacement central utilisé pour un programme controversé de surveillance qui a ciblé les communications de l’ONU, du FMI, de la Banque Mondiale et d’au moins 38 pays, y compris des alliés proches de l’Amérique comme l’Allemagne, le Japon et la France », écrit le site web, qui ajoute plus loin que le programme en question s’appelle BLARNEY.
Ce nom vous évoque peut-être quelque-chose. Il était déjà évoqué en 2013 dans la presse. Son existence est toutefois bien plus ancienne, puisque le programme a été mis en place en 1978. Sa mission est de renseigner les USA sur le terrorisme, la diplomatie, l’économie, le domaine militaire, la prolifération et la politique extérieure des autres États. Auparavant, l’existence d’un autre site était supposée, en Californie, de l’autre côté du pays.
En réalité, il y en a beaucoup plus. Toujours selon les documents sortis par Snowden, AT&T a installé des équipements de surveillance pour la NSA dans au moins 59 sites aux USA.
Outre les organisations et les pays cités ci-dessus, The Intercept note que BLARNEY cible aussi des banques centrales (la Banque du Japon), l’Italie, le Brésil, la Grèce, Chypre, le Mexique ainsi que l’Union européenne. La coopération de l’opérateur AT&T avait déjà été mentionnée dans des papiers publiés en 2013 : il était alors question d’une écoute au niveau des fibres optiques arrivant et repartant des USA.
Un immeuble atypique
Avec cette nouvelle divulgation, on comprend un peu mieux pourquoi la NSA a choisi cet édifice pour y déployer ses outils très indiscrets. Construit entre 1969 et 1974, il présente en effet des caractéristiques peu communes. Haut de vingt-neuf étages, comptant trois sous-sols, il est pensé pour tenir bon en cas de conflit nucléaire — peut-être pas à une frappe directe mais au moins aux radiations environnantes.
Désigné par le cabinet d’architectes John Carl Warnecke & Associates, l’immeuble est aussi capable de vivre en autarcie en cas de coup dur : il pourrait fonctionner pendant deux semaines grâce à des générateurs de secours. Il peut en outre accueillir des stocks d’eau et de vivres pour 1 500 personnes. On comprend que les opérateurs doivent parer à toutes sortes de situations, mais là, c’est tout à fait hors-norme !
Un bâtiment pour espionner l’étranger, y compris des alliés de l’Amérique comme la France
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