La démission de Manuel Valls, qui quitte Matignon pour mener sa campagne à la primaire du Parti Socialiste, entraîne une nouvelle étape de débat parlementaire sur l’état d’urgence. Ce régime d’exception qui a été mis en place il y a plus d’un an est censé s’arrêter à la démission d’un gouvernement. Derrière cette subtilité juridique, il y a l’idée que si le pays change de gouvernement, la situation critique qui a motivé l’instauration de ce régime d’exception n’est plus.
Le paradoxe est pourtant assumé par le gouvernement qui se défait pour répondre au jeu politique des primaires sans pour autant remettre en cause l’état d’urgence. Ce dernier sera par ailleurs prolongé si une majorité de parlementaires suivent le gouvernement. En effet, François Hollande souhaite prolonger le régime jusqu’à la fin de l’élection présidentielle.
Mais certains députés ne perdent pas espoir de voir le droit reprendre le dessus et l’état d’urgence être enfin levé. Le risque maintes fois évoqué de voir notre démocratie devenir véritablement accro à l’exception dans l’état de droit devient doucement une réalité. Et il semble qu’aujourd’hui, toutes les justifications sont bonnes pour recourir à ce régime si menaçant pour les libertés individuelles.
Nous avons posé quelques questions au député des français de l’étranger Pouria Amrishahi qui mène depuis plus d’un an un combat contre cette mesure.
Nous lisons ces derniers jours que la démission de Manuel Valls va relancer les débats parlementaires sur l’État d’urgence, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs pourquoi ?
La démission du premier ministre entraîne la démission du gouvernement ce qui rend caduc dans les 15 jours l’état d’urgence (article 4 de la loi du 3 avril 1955). Si le nouveau gouvernement veut prolonger l’état d’urgence il faut qu’il présente une prorogation aux parlementaires dans les prochains jours, et que ceux-ci l’adoptent.
Cette mesure résume l’esprit de la loi sur l’état d’urgence. Soit l’heure est grave, la menace est terrible et l’état d’urgence déterminant pour nous protéger. Dans ce cas, il est incroyable que le premier ministre se permette de démissionner pour se présenter aux primaires d’un parti politique. Quel sens de l’intérêt général !
Soit l’état d’urgence n’est pas nécessaire, et le premier ministre pas indispensable, et dans ce cas il faut mettre fin au régime d’exception. Car il faut avoir conscience que cela fait plus d’un an que nous vivons dans cet état d’exception, qui n’est ni plus ni moins qu’une entorse aux libertés individuelles et une remise en cause de la justice, reléguée au second rang, derrière l’autorité administrative, police incluse.
Est-ce selon vous une réelle opportunité politique pour mettre fin au régime d’exception qui s’éternise ?
Le nouveau gouvernement poursuivra-t-il la fuite en avant de Manuel Valls ou reprendra-t-il le chemin d’une démocratie sereine et équilibrée entre ses pouvoirs ? C’est toute la question, et elle est paradoxalement posée à celui qui fut ministre de l’intérieur. Je plaide évidemment pour la seconde option. Cela serait une démonstration de sang-froid et d’intelligence.
Est-il encore justifié face aux risques évoqués durant la tenue d’une élection présidentielle de prolonger l’État d’urgence ?
Absolument pas. Il faudrait maintenir l’état d’urgence pour permettre les meetings politiques alors que nous avons en ce moment même un marché de Noël sur les Champs Elysée ? C’est totalement aberrant. Par ailleurs n’oublions pas que les principales mesures permises par l’état d’urgence ce sont des assignations à résidence et des perquisitions sans encadrement par un juge.
Alors que notre droit commun permet évidemment ces pratiques, qui peuvent être utilisées dans des enquêtes judiciaires, a fortiori pour déjouer des attentats en préparation. La seule différence, mais elle est de taille, c’est que l’état d’urgence supprime le contrôle du juge sur leur bonne mise en œuvre. Cela ne change donc rien à l’efficacité de notre lutte contre le terrorisme (qui peut être améliorée avec d’autres mesures) mais change tout au respect des libertés.
Si cette prorogation est votée, elle sera de fait donnée en héritage au prochain président élu : ne serait-ce pas là le signe que nous entrons dans l’exception permanente ?
Si l’état d’urgence était encore en vigueur à ce moment-là, la personne qui remplacera François Hollande à l’Elysée en mai aurait en effet à proposer aux parlementaires son arrêt ou de son renouvellement. Et là encore, le précédent créé par François Hollande et ses gouvernements successifs est terrible.
Il permet aux prochains dirigeants de notre pays, quel que soit leur bord politique, de s’engouffrer dans cette brèche démocratique pour la faire perdurer. Ne pouvons-nous pas craindre qu’une majorité politique de droite, voire de droite extrême, grave ce régime d’exception dans le marbre ? Et dire que c’est un gouvernement issu de la gauche qui a ouvert ce chemin…
Considérez-vous que le combat est désormais perdu ?
Non (le combat n’est pas perdu) mais les vents mauvais soufflent sur toute l’Europe et la France est très fragile. C’est pourquoi il ne faut pas renoncer à défendre l’État de Droit au prétexte de je ne sais quelle parenthèse antiterroriste. Il ne faut jamais banaliser les dérives extraordinaires au droit commun car les outils qui en découlent serviront les politiques autoritaires voire anti-démocratiques.
Plus d’un an après sa mise en place, pouvez-vous rappeler aux citoyens pourquoi l’État d’urgence remet en question ses droits et notamment son droit à la vie privée lorsqu’il s’agit de ses activités et échanges numériques ?
La loi de juillet 2016 qui prolongeait une nouvelle fois l’État d’urgence élargit en effet les possibilités d’écoute administrative à toute personne ‘susceptible d’être en lien avec une menace’, ce qui est très différent du fait d’être soupçonné de participer à des activités ‘présentant une menace’. « Être en lien » : voilà la voie ouverte à toutes les dérives. Par ailleurs, ce ne sont plus les « activités » suspectes d’un individu qui déclenchent une opération de police, mais son « comportement ». Cette banalisation de l’arbitraire implique la restriction de l’Etat de droit. Or nous devrions défendre le droit quand Daesh n’est qu’injustice et violences.
Nous devrions donc sacrifier nos libertés publiques pour des mesures qui ne sont pas efficaces contre le terrorisme ?
Et il y a pire que cela, depuis la loi pénale de juin 2016 – à laquelle je m’étais fortement opposé, les juges d’instruction et les procureurs peuvent recourir, dans le cadre d’enquêtes en matière de criminalité organisée, aux IMSI-catchers, des antennes qui captent toutes les données de communication dans un rayon donné.
Nous assistons ainsi depuis plusieurs mois, avec l’état d’urgence, la loi sur le renseignement, la loi pénale, à une dérive sécuritaire et autoritaire très inquiétante et totalement injustifiée. Et ce n’est pas moi qui le dis ! Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 indique que l’état d’urgence a eu une portée limitée. Le rapporteur s’interroge en effet sur « l’efficacité réelle de ce dispositif dans la sécurisation du territoire national ». Nous devrions donc sacrifier nos libertés publiques, épuiser nos forces de police, contourner le juge judiciaire, pour des mesures qui ne sont pas efficaces contre le terrorisme ?
Il existe pourtant d’autres solution pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. En déployant davantage de juges judiciaires par exemple, ou en revoyant totalement le dispositif de renseignement, qui est aujourd’hui mal coordonné. Enfin, au lieu de supprimer des postes d’éducateurs de rue par centaines, il faudrait en recruter pour repérer ceux qui risquent de partir en vrille.
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