A l’occasion d’une table ronde de plus de deux heures autour des questions numériques, François Bayrou a tenu à affirmer mardi soir son attachement au numérique. Et surtout à montrer qu’il avait une conscience aiguë de ce qu’Internet changeait, selon lui, pour « la civilisation ».

La démarche est originale et, disons-le, risquée. Candidat à l’élection présidentielle, François Bayrou a invité mardi soir quatre personnalités du net français pour discuter en direct du numérique. Face à lui figuraient Gilles Babinet, le président du Conseil national du numérique (CNN), Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi, et Fabrice Epelboin, fondateur de la défunte version française de ReadWriteWeb et hacktiviste très impliqué dans la défense des libertés numériques. Le tout animé par Richard Menneveux, directeur du site FrenchWeb bien connu des entrepreneurs de l’économie numérique en France.

L’objectif officieux pour François Bayrou était de se différencier des autres candidats qui « lisent des fiches », en s’affichant comme un véritable connaisseur du sujet. D’emblée, il a tenu à préciser qu’il a été « le producteur du premier journal numérique de France dans les années 1980« , financé par le Conseil Général qu’il présidait, qui apportait des informations utiles aux agriculteurs via « ce qui allait devenir le minitel« .

Mais plus fondamentalement, François Bayrou a tenu à présenter sa vision d’Internet, dont il ressent qu’il est le prélude d’un « saut de civilisation ».

« Je vois dans le numérique, dans un certain nombre des usages d’internet, un saut de société, et même – je crois qu’on peut employer le mot sans se tromper, un saut de civilisation« , a-t-il indiqué en introduction. « Je me suis très souvent exprimé sur le sujet, parce qu’il y a dans un certain nombre d’usages d’internet une pratique sociale, économique, intellectuelle, qui dépasse de beaucoup une activité économique ; c’est que le partage coopératif, désintéressé ou en tout cas non marchand, est une chose absolument marquante, c’est la pierre de fabrique de cet univers-là« .

« La dernière fois que je suis passé chez Drucker« , se plait-il à rappeler dans un sourire, « j’ai invité la représentante français de Wikipédia (Florence Devouard, ndlr). Parce que je trouve que dans le modèle wiki, le crowdsourcing comme vous dites, il y a quelque chose d’une démarche qui n’avait jamais existé dans l’humanité jusque là – ou peut-être dans la recherche scientifique, échangeant les découvertes mathématiques par exemple -, sans qu’il y ait intérêt marchand, et qu’il y ait pourtant intérêt social énorme« .

« Il y a beaucoup de gens qui critiquent Wikipédia, généralement ceux qui le pratiquent pas, qui pensent que c’est plein d’abus. La somme de connaissances, qui a été donnée, établie de manière désintéressée, par des dizaines, peut-être centaines de milliers de gens, chacun dans leur domaine de compétence, qu’ils ouvrent à l’ensemble de l’humanité, moi je trouve que c’est quelque chose qui apporte quelque chose à l’univers, à la planète Terre. Et je pense que dans bien des domaines, l’éducation, la culture, il faut mesurer à quel point c’est novateur, prometteur, dans un monde aux ressources finies, où tout d’un coup la découverte, la connaissance, devient partagée. C’est aussi vrai pour les logiciels libres que je me suis efforcé de défendre comme je le pouvais, que pour ces démarches de crowdsourcing, qui me semble-t-il font franchir un saut à la société dans laquelle on vit« .

« On prend internet sous l’angle des lois, des contrôles, mais on ne dit pas à quel point ça porte quelque chose d’autre« .

Cette idée semble réellement ancrée dans les convictions du candidat du Mouvement Démocrate, puisqu’elle s’est traduite dans son programme pour l’éducation. François Bayrou propose en effet d’alléger les programmes scolaires en s’appuyant notamment sur les changements qu’apporte Internet à la manière de s’instruire. Il faut, dit-il, que l’école « apprenne à apprendre ».

En revanche, le candidat n’a pas été jusqu’à proposer de légaliser les échanges d’œuvres sur Internet. Rebondissant sur un argumentaire du Parti Pirate, François Bayrou s’est dit hostile à une licence globale, et préférer les offres légales à moindre prix. « Je pense que ce qui libèrera la situation, c’est le téléchargement légal pas cher« , avait-il expliqué le mois dernier. Des paroles très similaires à celles qu’avait prononcées Nicolas Sarkozy en 2005, et qu’il n’a pas appliquées ensuite.

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