L’annonce faite par Nicolas Sarkozy de sanctionner pénalement les visites de sites internet promouvant une idéologie terroriste ou appelant à la haine ou à la violence, n’est pas totalement inédite en droit français. Il existe déjà dans la loi une telle pénalisation des visites de sites pédopornographiques. Mais Numerama a remonté l’historique de cette loi, introduite en 2007 par Valérie Pecresse, pour comprendre pourquoi elle n’avait pas suscité d’opposition particulière à l’époque, et pourquoi il n’est pas opportun de mettre les deux textes sur un même pied.

Le président Nicolas Sarkozy a annoncé jeudi, en réaction aux attentats menés par Mohamed Merah, la création d’un nouveau délit de consultation de sites internet, particulièrement dangereux pour la liberté d’expression et de communication en France. « Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme, ou véhiculant des appels à la haine ou à la violence, sera puni pénalement« , a annoncé le chef de l’Etat.

Comme nous l’expliquions hier dans une mise à jour, il existe déjà dans la loi un délit similaire, qui concerne la consultation d’images pédopornographiques. L’article 227-23 du code pénal dispose en effet que « le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation (…) est puni de deux ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende« . Certains ont donc vu dans ce précédent une justification de l’annonce présidentielle ; mais le contexte était très différent et explique qu’à l’époque, la disposition n’avait pas soulevé la même indignation. Nous sommes en effet remontés à ses origines pour tenter de comprendre.

La disposition fait la première fois son apparition en novembre 2006 dans un amendement n°566 déposé par Valérie Pecresse, alors députée UMP, dans le cadre du débat parlementaire sur la loi sur la prévention de la délinquance présenté par… Nicolas Sarkozy. Mais l’amendent apparaît à la discussion tard dans la soirée, dans un hémicycle désert, à un moment où Valérie Pecresse est absente des bancs de l’Assemblée Nationale. Personne ne reprend l’amendement parmi les députés présents, et le texte n’est donc pas débattu.

Frustrée, Valérie Pecresse profite du fait que trois mois plus tard, en janvier 2007, la loi sur la réforme de la protection de l’enfance arrive en première lecture à l’Assemblée Nationale. Le texte a été examiné depuis l’été 2006 par le Sénat, et la future ministre est nommée rapporteur du projet de loi à la chambre des députés, au nom de la commission des affaires culturelles. C’est alors qu’elle dépose le 9 janvier 2007 son amendement n°302, strictement identique à celui qu’elle avait oubliée de défendre.

L’amendement, qui apparaît subitement donc dans les débats, est présenté à la discussion parlementaire dès le lendemain, le 10 janvier 2007. En séance, la ministre explique les raisons qui la poussent à présenter une telle réforme du code pénal. Ses arguments font mouche :

Notre code pénal n’est plus adapté à la répression de la pédopornographie sur Internet et aux nouveaux comportements qui s’y développent.

Le code pénal prévoit que seul le fait de détenir une image à caractère pornographique est puni par la loi. Cela suppose de la détenir sur le disque dur de l’ordinateur ou sur tout autre support. Cette disposition du code pénal date du temps de la vidéo, où les pédophiles détenaient des images pédopornographiques sur un support vidéo.

Aujourd’hui, le pédophile est suffisamment avisé pour se rendre compte qu’il n’a pas intérêt à télécharger les images qu’il consulte sur Internet sur son disque dur d’ordinateur, pour apporter la preuve aux services judiciaires qui le poursuivront un jour qu’il détient des images pornographiques.

En revanche, le fait de consulter un service de communication en ligne d’images pédopornographiques n’est pas, en tant que tel, un délit pénal. Que font donc les pédophiles ? Ils prennent leur carte bleue ou un système de compte bancaire sur Internet et paient en ligne la consultation d’images. Comme les sites se multiplient, ils consultent et ils ne détiennent pas. Ils ne sont donc pas, actuellement, passibles de poursuites.

Je propose donc de modifier l’incrimination prévue à l’article 227-3 du code pénal, en prévoyant qu’il ne s’agit pas seulement de détenir des images pornographiques, mais aussi de consulter un service de communication en ligne, mettant à disposition une telle image ou représentation.

Le texte sera adopté sans difficulté, avec pour seule modification d’ajouter qu’il faut consulter « habituellement » ces sites internet pour être condamnable. « Le fait de tomber une fois sur un site et d’encourir une peine de deux ans d’emprisonnement est trop important. Je propose donc d’ajouter le mot  » habituellement  » après les mots  » Le fait de consulter « . Il est facile de vérifier, car une trace est laissée par la consultation et permet de voir si elle est habituelle ou non« , avait défendu Philippe Bas, le ministre de la famille.

La députée UMP Henriette Martinez tente bien d’introduire au texte une précaution, en proposant d’exonérer « les associations de protection de l’enfance, dûment habilitées, qui travaillent sur ce sujet en lien avec la police, la gendarmerie et les brigades de recherche, et ont conçu, pour certaines, des moteurs de recherche permettant de débusquer les sites pédophiles« . Mais la proposition n’est même pas débattue tant chacun sent bien que le texte ne sera pas appliqué pour débusquer les pédophiles, mais simplement pour avoir un motif de condamnation après perquisitions, si aucun contenu n’est matériellement trouvé au domicile du prévenu.

La deuxième lecture du Sénat n’apporte aucune discussion sur la disposition, qui est largement admise.

Pas de contrôle du Conseil Constitutionnel

Surtout, la loi sur la réforme de la protection de l’enfance, et ce premier délit de consultation de sites internet, n’est pas déféré devant le Conseil constitutionnel. Il n’a donc fait l’objet à ce jour d’aucun examen de conformité à la Constitution. Il est impossible de présager que parce qu’une loi similaire pré-existe dans le droit pénal, la disposition annoncée par Nicolas Sarkozy sera acceptée.

Elle pourra être censurée à plusieurs titres. En plus de la violation évidente des libertés d’expression et de communication, et de la vie privée, elle pourra être rejetée parce qu’elle méconnaîtra certainement le principe de légalité des délits et des peines, qui veut que les lois pénales soient écrites de façon suffisamment précises pour permettre aux justiciables de savoir quand ils sont en infraction. Pour les images pédopornographiques, la qualification est relativement objective. Mais comme l’explique parfaitement Le Monde dans un article sur la mise en application de la proposition de Nicolas Sarkozy, il sera très compliqué de définir un délit de consultation de sites à idéologie terroriste :

Où se situe la limite entre organisation terroriste et parti politique ? Les indépendantistes basques de Batasuna, par exemple, étaient considérés jusqu’en 2009 comme faisant partie d’une « organisation terroriste » par l’Union européenne ; Batasuna reste interdite en Espagne, mais pas en France. La consultation de son site depuis la France pourrait-elle être pénalement condamnable ?

Surtout, une telle disposition créerait une législation d’exception, s’appliquant à Internet mais pas aux livres, par exemple. En France, la possession, la vente et a fortiori la lecture de Mein Kampf sont légales depuis 1979, mais la proposition énoncée par M. Sarkozy rendrait, en théorie, la lecture de l’autobiographie d’Adolf Hitler illégale en ligne.

Surtout, on sent bien que l’idée de Nicolas Sarkozy n’est plus, comme l’avait exprimé Valérie Pecresse au sujet de la pédopornographie, de trouver un artifice juridique permettant de déclarer coupables des suspects qui prennent le soin de contourner la loi en ne possédant pas eux-mêmes les contenus répréhensibles. Cette fois, le président-candidat veut interdire à la population de consulter certains types de sites, pour leur éviter un endoctrinement via la menace de sanctions pénales. Cette fois, la surveillance générale de la population est sous-entendue. Elle est en tout cas nécessaire pour mettre la loi en application. Et ce qui la rend totalement inacceptable.

(illustration : CC Perfecto Insecto)

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