Pourquoi The Intercept remet sur le devant de la scène une affaire russe vieille de dix ans ? Le média revient en effet ces jours-ci sur le cas de journaliste dissidente russe Anna Politkovskaya, assassinée en 2006 par, vraisemblablement, le gouvernement de Vladimir Poutine. Ce qui intéresse dans cette affaire vieille de dix ans, c’est l’implication de la NSA dans la surveillance des activités du FSB, service secret russe.
Pour bien comprendre l’affaire et voir comment ces vieux documents peuvent aider à comprendre l’attaque du camp démocrate par des pirates, il faut donc remonter aux événements meurtriers qui ont secoué les services de renseignement du monde entier pendant les années 2000.
L’étrange affaire Anna Politkovskaya
Anna Politkovskaya est née à New York en 1958. Fille d’un diplomate soviétique, elle fait ses études à Moscou avant de débuter sa carrière journalistique dans Izvestiya. Anna Politkovskaya devient alors une des plus influente journaliste russe, mais elle est rapidement ciblée par le pouvoir de Poutine au tournant des années 2000. Son travail sur la guerre en Tchétchénie, aussi remarquable qu’embarrassant pour le Kremlin, fait d’elle une ennemie secrète du pouvoir russe.
Son travail sur la guerre en Tchétchénie fera d’elle une ennemie secrète du pouvoir russe.
En 2005, comme le montre le Wiki rédigé par la NSA — dévoilé par Edward Snowden –, elle est la cible d’une attaque informatique sur son adresse mail. Pour l’agence américaine, l’attaque informatique proviendrait du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) et aurait servi à récolter des informations sensibles à son propos. L’attaque menée sur une adresse Yahoo est immédiatement comprise et interceptée par la NSA, qui n’a pas besoin de remonter la piste des pirates pour comprendre qu’il s’agit des Russes.
Car ce que nous apprend le document, c’est que la NSA possède les preuves de l’attaque sans être passé par une expertise de cybersécurité. Autrement dit, la NSA espionne les services secrets russes et l’agence est en mesure de savoir lorsqu’ils lancent des attaques.
Enfin, c’est le 7 octobre 2006 qu’on retrouve Anna Politkovskaya, frappée par deux balles à la tête dans l’ascenseur de son appartement. L’enquête menée par les autorités russes ne permet pas de mettre en lumière le responsable de l’assassinat de Mme Politkovskaya. Comme pour les douze autres journalistes russes décédés depuis les années 2000 en Russie, Anna Politkovskaya était la cible d’un chasseur de primes. Les liens entre les assassins des journalistes et les services de renseignements russes sont encore troubles.
Néanmoins, il semblerait, selon le Rapport Owen de la Haute Cour britannique, que la mort d’Anna Politkovskaya soit liée à celle de l’ancien espion Alexandre Litvinenko. Cette ancienne tête forte du KGB, devenue FSB, trahit le Kremlin en dénonçant la corruption du système Poutine ainsi que l’organisation de faux attentats en Russie qui ont été attribués aux Tchétchènes. Litvinenko, à sa manière, devient une cible du pouvoir russe alors qu’il enquêtait depuis Londres sur la mort de Politkovskaya.
la NSA espionne les services secrets russes
C’est le 1er novembre 2006, qu’il rencontre à Londres un contact, Mario Scaramella, qui prétend détenir des preuves de la culpabilité du gouvernement russe dans l’assassinat de Mme Politkovskaya. Mais l’ancien agent Litvinenko est empoisonné à peine quelques heures plus tard. Bien que les responsables de son empoisonnement ne puissent encore être clairement ciblés, le rapport Owen établit que les services secrets russes sont les responsables du meurtre de leur ancien agent. Sir Robert Owen évoque également une implication directe de Vladimir Poutine qui selon le juge aurait approuvé l’empoisonnement de Litvinenko.
L’affaire est particulièrement sensible et aucun des espions russes suspectés n’a été incarcéré pour le meurtre de Livtinenko. Alors qu’ils étaient deux à être suspectés, le premier a passé sans sourciller un détecteur de mensonges du MI6 et l’autre est depuis protégé par une immunité grâce à son poste à la Douma (Assemblée russe). Il en va de même pour les responsables du meurtre d’Anna Politkovskaya, dont les commanditaires, toujours inconnus selon la justice russe, sont encore en liberté.
D’une affaire d’espionnage à une autre
Or, si cette sombre histoire de luttes entre agences de renseignement semble s’éloigner de notre affaire — l’attaque contre les serveurs du Parti Démocrate –, elle plante le décor qui encadre la tension entre les services secrets russes et les services occidentaux (MI6 et NSA compris). Mais surtout, dans ce document qui requiert toute notre attention, Edward Snowden a, peut-être sans le savoir, fourni un nouvel élément sur l’affaire des pirates du camp démocrate.
Car si nous revenons au document source de la NSA sur Politkovskaya, le Wiki interne de l’agence, nous remarquons que les informations concernant l’attaque de son compte mail sont précédées de mentions plutôt obscures : TS/SI. Cette notation du document montre que les commentaires qui suivent sont de nature secrète puisque TS/SI est l’abréviation de Top Secret Signals Intelligence, autrement dit : surveillance secrète des signaux et communications. Nous en revenons donc à notre première conclusion : si la NSA n’a pas eu besoin d’experts informatiques pour comprendre que le FSB attaquait la journaliste, c’est tout simplement parce que l’agence surveillait les signaux, transmissions et communications des Russes.
Enfin, si l’on rajoute aux révélation de ce document l’essentiel des informations qu’Edward Snowden a révélé au sujet des méthodes de la NSA, on comprend sans mal que la surveillance de masse pratiquée par les services américains n’épargne pas les agences russes. Et bien que le document ici divulgué ne comprend pas les preuves des conclusions de l’agence sur l’affaire Politkovskaya, il contient par ces signaux et sa méthodologie une allusion concrète à des preuves détenues par l’agence sur l’implication de Poutine dans l’assassinat de 2006.
La surveillance de masse des services américains n’épargne pas les agences russes
C’est précisément la possession de ces preuves et la méthodologie de l’agence américaine qui permet, peut-être, de finir de boucler l’enquête sur l’attaque du camp démocrate. Car si les deux histoires sont très lointaines et semblent très différentes, les méthodes des deux camps sont, elles, assez proches.
Et c’est par ailleurs Edward Snowden qui finit par appuyer la théorie selon laquelle la NSA aurait, sans même avoir besoin de remonter la piste des hackers, les preuves de l’implication du Kremlin dans les attaques contre les démocrates. Il disait, déjà en juillet, que selon son expérience et grâce aux outils qu’il a pu utiliser à la NSA, l’agence avait très probablement déjà les preuves de l’implications russe dans l’attaque.
https://twitter.com/Snowden/status/757577131912208384?ref_src=twsrc%5Etfw
L’ancien agent de la NSA évoque le XKeyScore, un outil de l’agence qui selon lui, pourrait permettre aux américains de récupérer sans mal des informations quant à la responsabilité des russes dans les attaques contre les démocrates. Et alors que Barack Obama a publiquement reconnu la responsabilité du pouvoir russe, et que la NSA continue d’affirmer qu’elle détient des preuves de ces avancements, nous savons désormais comment l’agence a, a fortiori, pris connaissance de ces preuves.
Et l’on comprend de fait bien mieux pourquoi les experts en sécurité informatique ont plus de mal à définir les véritables coupables d’une attaque informatique que la NSA… qui définitivement, a des oreilles partout.
Pour retrouver un récapitulatif de toutes les découvertes et preuves livrées par les experts en cyber-sécurité sur l’attaque du camp démocrate, nous avons réalisé un résumé de l’affaire ici.
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