La présidente de l’Hadopi aurait récemment confié en off que dix millions d’abonnés Internet ont déjà été fichés pour téléchargement illégal en France. Or, ce chiffre apparaît peu crédible, non seulement au regard du nombre total d’abonnés haut et très haut débit en France, mais aussi vis-à-vis des statistiques régulières fournies par la Haute Autorité en matière de riposte graduée.

Depuis maintenant deux ans, tout le processus de la riposte graduée repose sur la collecte des adresses IP des internautes suspectés d’enfreindre la propriété intellectuelle sur les réseaux P2P. Pour effectuer cette mission, c’est une société privée, TMG, qui dresse quotidiennement et de manière automatisée la liste des adresses IP détectées à partir desquelles auraient été mises en partage des œuvres protégées.

Chaque adresse IP repérée donne ensuite lieu à la signature d’un procès-verbal d’infraction par un « agent assermenté » des ayants droit. C’est sur cette base que l’Hadopi envoie ses avertissements, par le biais des FAI. Seul TMG bénéficie aujourd’hui de l’autorisation de la CNIL, par l’intermédiaire de quatre sociétés d’ayants droit. Et cela, alors que le procédé de collecte n’a fait l’objet d’aucune homologation ou certification.

Combien de personnes se sont retrouvées dans les mailles du filet de TMG ? Selon le journaliste Frédéric Martel, la présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet aurait confié en off que 10 millions d’abonnés Internet ont déjà été fichés pour téléchargement illégal en France. Une évaluation qui paraît toutefois un peu trop élevée.

Selon les dernières statistiques en notre possession, datées du 1er mars 2012, la riposte graduée a entraîné l’envoi de 920 000 courriers électroniques en guise de premier avertissement. 80 000 seconds avertissements ont été envoyés, en principe sous forme de lettre recommandée avec avis de réception (LRAR). Enfin, 250 dossiers sont en cours d’instruction au titre de la troisième phase.

Ces 250 dossiers sont ceux actuellement examinés par la Commission de protection des droits (CPD). Il ne s’agit pas du nombre de dossiers transmis au parquet, celui-ci étant inférieur. Les premières transmissions ont eu lieu en février. Ces abonnés-là risquent un mois de suspension de leur accès à Internet 1500 euros d’amende, s’ils sont jugés coupables de négligence caractérisée.

Au regard de ces données, il semble assez invraisemblable que la riposte graduée ait conduit au fichage de 10 millions d’abonnés Internet pour téléchargement illégal. Cela voudrait dire qu’un peu moins de 50 % des abonnements haut et très haut débit en France sont touchés par la riposte graduée, puisque le nombre d’abonnements Internet a atteint 22,8 millions au 31 décembre selon les chiffres de l’Arcep.

Donc sauf à ce qu’il y ait eu 9 millions d’avertissements au cours du mois de mars, nous sommes très loin du compte. Pour mémoire, l’Hadopi avait expliqué dans leur dernière note d’information (.pdf) qu’il y avait eu 755 015 dossiers en première phase au 31 décembre 2011. Dans son rapport d’activité 2010, la Haute Autorité indiquait 470 935 premiers avertissements au 30 juin et 20 598 secondes recommandations.

En janvier de cette année, Marie-François Marais donnait au Sénat les chiffres de novembre 2011, avec 736 000 premières recommandations, 62 000 secondes recommandations et 165 dossiers devant la Commission de protection des droits. Cependant, nous évoquions de notre côté 159 dossiers en instance à la mi-janvier.

Mais comme le fait remarquer Dwarf Power sur Twitter, cette information ne porte peut-être pas sur le nombre d’adresses IP collectées par TMG mais plutôt sur le nombre d’incidents enregistrés par la société dans le cadre de ses attributions. Ce chiffre recouvrirait alors de multiples infractions commises par une même IP, des doublons ou encore des faux positifs.

Rappelons que le décret sur le fichier de l’Hadopi prévoit que les données des internautes peuvent être conservées pendant 14 mois après l’envoi d’un premier e-mail, 21 mois après l’envoi d’une lettre recommandée, et 1 an après la transmission au parquet. Notons enfin que la CNIL a constaté « une absence de durée de conservation pour certaines données à caractère personnel traitées par TMG« .

Mise à jour : le secrétaire général de l’Hadopi, Éric Walter, nous précise que TMG ne conserve les données non transmises que 24 heures.

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